samedi 22 août 2020

Il était une rando - J#3

Furfande

Etape La Chalp (Arvieux) -  Refuge de Furfande

Le 3ème jour est peut-être le plus dur. Il n'a pas l'excitement du premier, ni la fierté du deuxième et ce n'est pas le dernier. Heureusement, pour nous c'est censé être l'étape la plus facile, surtout après une nuit avec un oreiller. 5 heures au top guide, mes iAdos s'inquiètent de ce qu'il vont faire de leur après midi, quand on va arriver vers 13h.

Les estimes de Furfande

On ne traine pas le matin, de la pluie est annoncée pour plus tard dans la journée. On enjambe le ruisseau derrière la maison, et un sentier nous permet de rejoindre le GR sans avoir à rebrousser chemin le long de la route. Notre gîte était légèrement hors GR. La nuit a  reposé le dernier, qui n'a plus mal nulle part, après une longue séance d'étirements hier soir, des bains et des massages aux pieds, de l'arnica en granules...

Avec mes cannes, je suis "un bolide" d'après mes iAdos qui estiment que je vais deux fois plus vite que sans, et se réjouissent de m'attendre moins longtemps quand ils s'arrêtent aux croisements. Je concède que c'est une aide, j'ai rejoins le camp - largement majoritaire - des randonneurs mécanisés.


Le balcon de Furfande
Dentelle

L'étape facile ne l'est pas, la difficulté n'est pas la durée mais la technicité. Le sentier est à flan de montagne, dans des pierriers, très vertigineux par endroits, avec du vide d'un côté, des virages dans des cailloux et le ravin en dessous. J'ai le vertige et ce long passage à côtoyer le vide m'achève plus sûrement que deux cols à la suite. J'ai les jambes qui tremblent, même longtemps après, je n'ai plus d'énergie et je dois me ressaisir pour retrouver mon rythme de marche. Je me félicite de l'achat des cannes de marche qui me permettent de franchir ces difficultés en gardant mon équilibre, avec 4 appuis au lieu de deux.





La pluie nous trouve en fin de matinée, d'abord goutte par goutte, puis de façon plus constante. On se couvre, nos sacs aussi, tout en se demandant si nos chapeaux australiens tiendront  le coup sous la pluie. Ils sont en feutre, plutôt conçus pour le soleil du désert, la chaleur rouge de l'outback, l'eau n'étant pas un élément familier. On s'abrite un moment dans une cabane dans la forêt, espérant laisser passer l'averse. On  se lasse d'attendre, on repart, c'est moins drôle de marcher sous l'eau et dans le brouillard. Le temps se calme juste avant le col, avec sa raide ascension habituelle, dans un paysage pelé. On y croise des vélos et des chevaux et beaucoup trop de monde à mon goût.




Furfande est un ancien lieu d'estive. Un vallon à 2500 mètres d'altitude, un balcon suspendu, entouré de dentelles de montagne. La combe ressemble à un cocon perché, si ce n'est le temps menaçant, je me verrais bien allongée dans l'herbe pour me perdre dans le ciel.

Les maisons d'estive sont en bon état, certaines mêmes récemment retapées, je ne sais pas à qui elles servent, l'accès est tout de même difficile, même si on peut y arriver de l'autre côté du col par une longue route forestière. On déjeune sur la terrasse de l'une d'elles, surplombant le refuge. On a enfilé nos anoraks, le vent qui souffle apporte un air froid, les nuages s'amoncellent. 







Le refuge sous la pluie
Le dessert à peine avalé, les premières gouttes arrivent. La descente se fait en courant, version "gazelle  fraîche" (que je ne suis pas, je fais juste semblant). Foule dans le refuge, entre ceux qui ne sont  venus que pour déjeuner, ceux qui comme nous arrivent avant la pluie, et les campeurs qui viennent se mettre à l"abri. 

Encore une fois, on a l'avantage d'être cinq et d'être dans le passage, nous sommes vite installés : un dortoir de cinq personnes, judicieusement pensé, tout  en longueur, des lits superposés suffisamment hauts pour laisser  beaucoup d'espace quand on est assis sur le lit du bas, le cinquième est perché au dessus de la porte prenant l'espace au dessus du couloir. Le refuge a été refait à neuf il y a quelques années, il est beau et fonctionnel. 

Fin d'après-midi, semblant d'accalmie
On profite  d'être les premiers pour prendre une douche bien chaude, lire (moi), dormir (iMari), jouer aux cartes (iAdos). Quand le coup de  feu  du  déjeuner est passé, on descend à la salle a manger prendre un thé, un  chocolat  chaud, il n'y a plus de tartes aux myrtilles, ni aux framboises, mais les mousses au chocolat sont  excellentes. 
Un orage plus violent que les autres ramènent tous les campeurs dans la petite salle à manger, finie la distanciation sociale. Ca sent les odeurs de randonneurs mouillés : l'humidité, les chaussettes de trois jours, la soupe lyophilisée... Ca joue aux cartes à toutes les tables, les gens papotent, se racontent leurs exploits, tentent de faire sécher qui leurs chaussettes, qui leurs vestes... 
Je fais ce que  je fais le mieux dans ces situations, j'observe. J'ai une partenaire de jeu : mon iAdo, qui elle adore aussi deviner et inventer la vie des gens.


L'après-midi se déroule entre accalmie averse, tonnerre et éclair, entre le calme de notre chambre et la salle à manger au delà  des normes Covid. Un refuge a été fermé cette semaine dans le Champsaur du fait d'un cas de Covid. Vue la densité ici, si quelqu'un l'a, on fait un cluster. 

Comme les dortoirs ne peuvent être occupés, qu'avec des personnes d'un même groupe,  ils ne sont  pas tous complets  (il y a un dortoir de 16 personnes dans ce refuge),  des tentes ont été installées en plus, et des couples peuvent dormir sur place (dehors!). Autant de monde que d'habitude, mais distanciation sociale oblige (du moins dans le concept), deux services pour le dîner, afin de ne pas (trop) mélanger les groupes, mais pendant la pluie, tout le monde dedans.... Histoire de bien se rapprocher : "ce n'est pas le Wifi qui connecte les gens, c'est l'apéro" est-il écrit à l'entrée. 
Ou l'orage.
A l'heure du diner

Ils préviennent bien qui ils sont dans ce refuge : "nous ne pouvons pas cuisiner végétarien, végétalien, sans porc, sans gluten, sans lactose, sans noix, sans sel... nous pensons que le repas est un moment collectif de partage, qui prime sur l'individualisme des régimes alimentaires"... et ils expliquent qu'ils achètent local, de saison et autant que possible bio. Le dîner est super bon, avec de la viande, du formage... adieu les végétariens (sans penser aux végétaliens). 







Une grande tablée de 13 personnes, 6 adultes et 7 enfants, tous blonds et éclairés de l'intérieur, chante un bénédicité avant le repas, ce qui leur vaut un regard étonné de toute la salle, en tout cas pour ceux qui ne les avait pas vu prier dehors en rond, entre deux averses.

Nuit d'éclairs et de tonnerre, mais matin clair. 

Au petit matin


jeudi 20 août 2020

Il était une rando -J#2


Au petit matin


Seul notre réveil sonne à 6h dans l'annexe. Dans le 3ème dortoir, un groupe avec deux papas et 4 enfants sont arrivés à 19h passés, aussi trempés et frigorifiés que nos autres voisins (ceux qui nous ont déclenché le chauffage).
Comme dirait mon iMari "ils n'ont pas retenu la leçon de partir tôt".

Quand on arrive dans la salle à manger pour le petit déjeuner, nous ne sommes pas les premiers, et nous sommes même nombreux à la fraiche,  pas très réveillés, avec nos bols de café, thé et chocolat chaud servis dans des breaux de cantine. Le petit déjeuner du randonneur vaut le dîner : protéines qui tient au corps. 



Nous sommes partis un peu après 7h, avec nos sacs à dos, nos outres pleines d'eau, nos chaussettes qui puent, nos chapeaux et nos lunettes à l'annonce d'une belle journée. La première demi -heure est le temps qu'il nous faut pour se réchauffer, se remettre en route, oublier les tendons qui tirent, les muscles raides et la perspective de la longue journée. Se remettre dans le rythme : marcher, respirer, boire, et manger plus tard. 2 cols à passer aujourd'hui, 8h  de marche prévues au topo guide. On sait qu'on est plus rapide que la référence, mais on sait aussi que c'est une longue étape.









La pluie de la veille a gonflé le torrent, le pont de bois est recouvert de pierres emportées par l'eau dans la pente, l'herbe est spongieuse, les chemins ravinés.  Le raidillon avant le col a perdu son chemin, le tracé s'est effacé sous l'orage, on marche en hésitant entre la ravine du ruissellement, les drailles façonnées par les vaches et  les symboles rouge et blanc qui restent du tracé du GR. 

Je marche à l'ancienne, penchée sur mon sac à dos, sans cannes. Je suis une minorité résistant à l'appel technologique de la marche. Je me fais doubler par de jeunes gens sautillant entre leurs bâtons de marche.

J'ai déja du faire allégeance au progrès en changeant de sac à dos. Mon fidèle Millet  - rose et bleu - était à la pointe de ce qu'on faisant en matière de sac à dos en ... 1987. Je l'avais acheté pour partir en Israël, il n'avait aucune poche, c'était juste un tube, solide, grand, réglable et confortable. Il m'avait suivi dans tous mes voyages, jusqu'à ce que j'achète ma première valise en 2006 quand nous avions eu notre 2ème enfant, et que nous avions un bébé dans le porte-bébé, un autre enfant à la main, un sac de voyage avec les passeports et les couches, et que pour voyager deux mois en Australie, il nous fallait une valise pour quatre personnes, à roulette.


Mon vieux Millet est troué, l'armature plastique s'est déformée, il n'y a rien pour y accrocher une outre à eau... C'est ce dernier argument qui a eu raison de ma résistance à le garder pour cette nouvelle randonnée.  J'ai aussi du acheter des nouvelles chaussures de randonnée (merci le Vieux Campeur) et des lunettes de soleil pratiques et solides, adieu le  look de parisienne glamour à la montagne. Comme dit mon iAdo : "quand on est vieux on doit tout remettre à neuf".  J'espère juste qu'il ne parle que de l'équipement...

On croise des vaches en alpage avec leurs jeunes veaux, des fleurs de couleurs, des montages en dentelles, des ruisseaux qui débordent, des oiseaux qui sautillent, des marmottes qui sifflent à notre vue. 

Je souffle, je sue et pour la première fois je me dis que des cannes de marche seraient peut-être utiles.

Col de Péas à 2629m. Un col large, entouré d'alpage des deux côtés, toujours du vent. Les randonneurs s'y arrêtent, cassent la croute, échangent quelques mots, nous racontent leur problème de genou ...

Longue descente jusqu'à village de Souliers. A la pause de midi, en auscultant la carte, on y découvre un contournement. Au lieu de remonter le Col du Tronchet à 2347m (nouveau dénivelé positif de 500 m), il y a une route forestière plus le GR5 à flan de montagne qui contourne.  Tentation ...?

C'est le dernier iAdo avec une courbature sous le pied, qui se met à pleurer au bout d'une demi -heure de reprise de marche, qui sonne pour moi le glas du 2ème col. On trempe le pied douloureux dans la fontaine d'eau  froide, on fait un massage à l'arnica, et on fait demi tour vers le village de Souliers pour prendre la voie alternative. Mon iMari poursuit avec les deux grands vers le col tandis que je rebrousse chemin pour une trajectoire supposément plus facile avec le blessé. 

Le chemin de contournement sera long, avec ce demi tour nous avons pris une heure de marche de plus, il fait chaud, il est fatigué, il n'a plus le moral :  "j'ai perdu le plaisir de marcher là maintenant" me précise t -il à un moment. Comme si j'avais des doutes!


On fait des pauses : pipi, boire, massage au pied, banc pour la vue... le village n'en fini pas d'arriver. L'autre team arrive avant nous au gite d'étape, je suis rétamée, lui aussi. Mais il y a des oreillers sur les lits, des vrais draps sur les matelas, la maison est magnifique avec le lierre sur sa rambarde en bois, le ruisseau au fond du jardin...

La maison grince, ses vieux planchers sont patinés, ça sent le bois et le temps suspendu. le tenancier est agréable, drôle et direct. Pas de vin ce soir, ca nous évitera la piquette queyrassine, fromages du coin et iles flottantes en dessert - je n'en avais pas mangé depuis celles de mon grand père (c'était tout de même plus récent que mon sac à dos).

On impose le bain de pieds dans le ruisseau comme un cure pour les courbatures, le goûter comme un remontant et les pâtes au repas du soir sont abordées comme un bon présage. Pas d'orage ce soir, j'achète des cannes de marche au magasin de sport du village, mon iMari une housse de protection de pluie pour son sac à dos antédiluvien (mais pas étanche). 

Le moral des troupes remonte en se couchant, l'étape du 3ème jour est la plus courte (5h au Topo Guide).


mardi 18 août 2020

ll était une rando - J#1

Sur le GR58 - tour du Queyras

Qu'est ce qui nous a pris?
On peut se raconter plein de choses : on en faisait beaucoup quand on était jeunes (mais on ne l'est plus!), on aime ça (vraiment?), on a été poussés par nos enfants (si! si!), pour le fun? la gloire (laquelle?), pour l'ambiance (après le camping je crains que le refuge ne soit le truc le plus ... hors norme)... bref tout un tas de (plus ou moins) bonnes raisons. 
Le fond de l'histoire est certainement plus à chercher dans notre besoin de bouger, d'espace, d'air, de points de vue, de hauteur et de détachement. 

Marcher sur plusieurs jours réduit les contingences : respirer, manger et dormir.
Simplification à l'extrême du rythme de vie.

Montée au Col de Malrif
L'arrivée à Aiguilles, point de départ, se fait sous la pluie, en début d'après midi. Un savant mélange de trajets en voiture, bus et navette nous permet de laisser notre voiture au village d'arrivée, situé suffisamment proche à vol d'oiseau, mais toute de même à 4 jours de marche par le GR58, et plus de 30 km par la route en remontant des vallées plus étroites les unes que les autres.

L'auberge est pleine de randonneurs, le repas est copieux pour ceux-là, que nous ne serons que le lendemain. Cela ne nous empêche pas de faire honneur au diner.
Lever 6h pour un petit déjeuner "en autonomie", ca veut dire que l'aubergiste n'est pas levée, on se débrouille pour trouver le thé, les yaourts, le pain et la confiture. Nous sommes quelques matinaux à nous déplacer en silence dans la nuit avec nos masques dans la cuisine encombrée.

A 7h, on marche. Bon pied, bon rythme, excités par l'aventure devant nous.
Lacs Malrif - le lac du Grand Laus 
Ca grimpe sec jusqu'aux lacs du Malrif, et ce n'est rien comparé au passage du col du même nom, à 2900 m nous dit le cairn en plein vent.


Montée rude, le chemin est flou entre rochers, ardoises émiettées et touffes d'herbe hésitante. Je me fais doubler par un homme-taureau sautillant criant à qui veut l'entendre qu'il est arrivé là en 2h45 (moi ca fait plus de 3h que je marche ...). 

A quelques mètres du col, je me retourne pour admirer une demoiselle-papillon avec des longues jambes, tout en légèreté dans la montée, le mouvement de ses bras pour se servir de ses bâtons de marche ressemble à un battement d'ailes, blanches dans le bleu du ciel. 
C'est d'une grâce inouïe pour moi qui suis au bout de ma vie, au bout de mon souffle, rouge, suante et probablement odorante.




Vallée de Cervières

Comme tous les cols, celui ci est étroit, venteux, froid et encombré. La demoiselle-papillon qui n'est pas si jeune vue de près, mais fraiche  - je le confirme - fait selfie sur selfie, comme beaucoup d'autres ici. 
Nous admirons la vue, grelottant dans nos vestes, cherchons le soleil, la faim au ventre qui gronde. 

Fonts de Cervières

La vallée de Cervières s'étale devant nous, nous descendons vers les fonts de Cervières (je confirme que ça s'écrit avec un "t"). Vieux village, une ferme en activité (du moins l'été) avec un troupeau de moutons et son patou, quelques maisons gentiment retapées (probablement en location), et l'auberge-refuge.













Pressés pas la météo, nous arrivons vers 13h, en plein rush du déjeuner de midi, où des gens arrivant par de l'autre bout de la vallée (le bout où il y a une  route forestière) pour un déjeuner en famille sur trois ou quatre générations.

Nous sommes installés dans une annexe, une maison indépendante dans la village. Un rez de chaussée, 2 douches et 2 toilettes communs, un cuisine commune et une grande salle avec un poêle. A l'étage 4 dortoirs, un balcon.

Grâce au Covid, pas de mélange dans les dortoirs: un seul groupe par dortoir, nous occupons à nous 5, un espace pour 7 personnes.

Grâce au Covid aussi, les matelas sont recouverts d'un épais plastique bleu, facile à désinfecter, désagréable au contact, bruyants à tout mouvement. 
Confort dortoirs en covid, le rêve absolu.

Notre chambrée sent rapidement les chaussettes "utilisées", avec nos 5 paires de chaussures de montagne et de chaussettes de 6h (de marinade).
Notre balcon d'où admirer l'orage
Pas encore retapées







Un des avantages de la randonnée est que tu disposes de ton après-midi, si tu t'es bien débrouillée dans ton étape : partir tôt, ne pas faire des pauses trop souvent, arriver avant l'orage.

Fonts de Cervières, avant l'orage
L'après-midi est consacrée à ne rien faire, 
au pire : lire, 
au mieux :  profiter du mauvais temps en étant à l'abri, 
entre les deux : dormir, ou encore manger un tarte à la framboise en visant le moment où les grandes tablées se sont vidées et l'abondante pluie.










Et du balcon, tu profites de l'orage : les éclairs qui cisaillent la montagne, le tonnerre qui fait trembler le plancher, le déluge qui chantonne aux oreilles, et les frissons que tu te fais en pensant que tu pourrais être dans la descente du col, au pied des éboulis, dans un torrent de boue, trempé et  frigorifié...

Il s'agit aussi de compatir quand tes voisins de dortoir arrivent trempés. Eux ne sont pas partis tôt, ou ont trainés en route, ou n'ont pas consulté la météo.
 Comme il y a un bon côté à tout, les voisins qui arrivent sous l'orage font que le tenancier allume le chauffage.







Et là c'est Byzance, dans l'odeur des chaussettes, sur le matelas en plastique, je jouis de l'orage à mon balcon, enveloppée d'une douce chaleur. Un après-midi de rêve, un après-midi de rando!
Toits d'ancelles


















Repas de refuge repas de randonneurs. 

Là aussi, Covid oblige, les tables sont organisées par groupe. Nous avons notre table de 5, là où, quand on était jeunes (et quand on décidait de mettre de l'argent dans le repas du soir),  nous formions de grandes tablées, assis à côté d'inconnus comme toi marcheurs, mais pas comme toi : grand marcheur, c'est à dire avec un pedigree de sommets ou de GR à leur actif qui te faisait systématiquement passée pour une novice.

Pas de risque avec le Covid, chacun sa table, chacun son plat, on ne dispute plus le rab' de soupe. 

Le riz est "de cantine" d'après nos iAdos, totalement  déconnectés, pas un brin de réseau dans ce fond (t) de vallée, ni la moindre trace de Wifi. 

Le vin est en pichet, tiré d'un cubi, entre piquette haute-alpine ou vinaigre italien comme nous sommes à la frontière, je ne sais trop. Nous avons faim, nous mangeons tout, en trouvant tout ceci quasiment bon.

La distanciation sociale s'arrête à la salle à manger, on se fait alpaguer à la sortie par nos voisins de dortoirs, ceux qui sont arrivés à 17h sous l'orage, et grâce à qui nous avons le chauffage. 

Comme je suis quelqu'un de poli (parfois) je remercie pour le chauffage (avec un minimum de compassion pour leur état trempé-frigorifié), s'ensuit une conversation très parisienne (ils sont versaillais) sur quelles étapes, quels horaires, quels autres GR, quelles autres randonnées et croyant trouver un échappatoire en évoquant le Canada, je me retrouve embarquée dans une conversation sur l'histoire de Banff et la rentabilisation de la ligne de chemin de fer au détriment des indigènes...  Mon iMari s'enfuit. 
Bonheur du refugeje fais la conversation avec des parfaits inconnus en tatannes-chaussettes (comme moi) avant d'aller au lit à 21h.

Nuit agitée de nos retournements sur plastique bleu, chaleur odorante du radiateur, bruit de la pluie sur le toit en ancelle, vomi du dernier pendant son sommeil, nuque endolorie par nos oreillers de pulls pliés et serviettes de toilette... jusqu'au réveil à 6h.