mercredi 18 novembre 2020

Vive au féminin : les choix ont un coût


 "Quand une femme doit trouver une nouvelle façon de vivre et s'émancipe du récit sociétal qui a effacé son nom, on s'attend à ce qu'elle se déteste par-dessus  tout, que la souffrance la rende folle, qu'elle pleure de remords. Ce sont les bijoux qui lui sont réservés sur la couronne du patriarcat, qui ne demande qu'à être portée. Cela provoque beaucoup de larmes, mais mieux vaut marcher dans 'l'obscurité noire et bleutée que choisir des bijoux de pacotille."

Le coût de la vie - Deborah Levy

C'est effectivement l'histoire d'une femme qui change de vie, une écrivaine qui quitte sa maison, son mari, garde ses deux filles (grandes) et qui le vit bien. On ne sait pas pourquoi elle part - peu importe d'ailleurs - elle se crée sa nouvelle façon de vivre, cherche un nouvel équilibre centré sur ce qu'elle veut/peut, qu'elle trouve (vite). Sa nouvelle vie - chaque jour nouvelle - est plus créatrice, moins routinière, plus libre au sens de moins d'obligations sociales ou d'attendus familiaux.

Simone de  Beauvoir le disait bien "pas de mari, pas d'enfants je n'ai pas le temps" sous-entendu pour réfléchir et écrire.

Les femmes mariées avec enfants le savent "un mari, des enfants, un boulot, je n'ai pas le temps" sous-étendu pour moi, pour réfléchir et pour écrire (ou peindre, ou lire, ou vivre ...) pour donner au Monde. Elles sont des "bêtes de somme" au service d'autres qu'elles mêmes.

Bête de somme (définition) : un animal domestique utilisé par l'homme comme animal de travail pour porter des charges.

Sous entendu charge mentale, sociale, affective, émotionnelle...

mercredi 4 novembre 2020

Se moquer de (presque) tout

L'Inde dans les années 1920

"J’ai donc rejoint, de fort mauvais humeur, Annie et lui pour les deux plus longues heures de ma vie, assis à l’avant d’une Rolls Royce ridiculeusement camouflée, pendant que l’homme auquel je viens de sauver la vie est assis à l’arrière et essaie de flirter avec l’objet de mon affection. Sur l’échelle des expériences, celle-ci se situe légèrement au-dessus d’une attaque au gaz moutarde dans une tranchée."

Les princes de Sambalpur – Abir Mukherjee

En ces temps confinés, je me sens totalement enfermée. Privée de Beau, d'expositions, de paysages autres que le parc en face de chez moi, de grandes toiles au cinéma, de la Vie-Comme-Elle-Va dans les rues, de voyages... Je cherche par tous les moyens à m'évader. 

Et je finis par y arriver en lisant loin, en regardant des films d'histoires (les petites,  pas la Grande - je suis une "femme à histoire(s)" comme dit mon iMari) sur des espaces ouverts. J'ai abandonnée les séries Canal qui se passent en France (Baron Noir, Engrenages : glauques et enfermants, même si très bien).
J'ai opté pour "Un garçon convenable" sur Netflix, mini série d'après le pavé littéraire de Vikram Seth. Le livre est bien mieux que la série, mais comment retranscrire les nuances des 1000 pages en 6 épisodes? 
Ca m'a fait l'effet attendu : le voyage en Inde, celle de 1950, très moderne par certains aspects et surtout insouciante et porteuse d'espoir.
J'ai poursuivi avec ce roman de Abir Mukerjee (dont je vous ai déjà parlé, il y a un an, c'est un Ecossais rappelez-vous), dans l'Inde coloniale des Maharadjas, des Princes, des diamants et des éléphants. 
C'est classé roman policier, il faut bien un critère. On ne le lit pas pour l'intrigue, on le lit pour le dépaysement, pour être écrasée par la lumière, mouillée par la mousson, prise dans la chaleur, enivrée des odeurs, ébaubie des rites, curieuse des religions, amusée par les protagonistes qui ne sont pas des héros, décalée au début du siècle dernier où tout prend du temps, quand prendre un verre était un rituel en smoking...
Et soignée par l'humour - so British - dans une écriture quasiment au deuxième degré, comme une discussion  dérisoire tout du long où on passerait son temps se moquer gentiment de tout.
J'aurai besoin en ce moment de me moquer de tout. Ce roman est un remède, le temps de ces 300 pages.



Ce qui nous dépasse, et nous enchante aussi


Louise Erdrich

"Il est difficle pour une femme de reconnaitre qu’elle s’entend bien avec sa mère - curieusement, cela parait une forme de trahison, du moins c’était le cas chez d’autres femmes de ma génération. Afin d’entrer dans la société des femmes, d’être adultes, nous traversons une  période où nous nous vantons fièrement d’avoir survécu à l’indifférence, de notre mère, à sa colère, à son amour écrasant, au fardeau de son chagrin, à sa propension à picoler ou au contraire à ne pas toucher une goutte d’alcool,   sa chaleur ou à sa froideur, à ses éloges ou à  ses critiques, à ses désordres sexuels ou au contraire à sa dérangeante transparence. Il n’est pas suffisant qu’elle ait transpiré, enduré les douleurs du travail, donné naissance à ses filles en hurlant ou sous anesthésie locale ou les deux. Non. Elle doit être tenue reposnsable de nos faiblesses psychiques pour le restant de ses jours. Il n’y a pas de mal à se sentir proche de son père, à pardonner. Nous le savons toutes. Mais la mère est contrainte à un tel niveau qu’il n’y a plus de règles. Elle doit tout simplement être accusée."

Ce qui a dévoré nos coeurs de Louise Erdrich

Louise Erdrich est une écrivaine américaine, figure de la littérature indienne, elle milite d'ailleurs pour la renaissance de la culture amérindienne. Ce n'est pas la première fois que je la croise dans mes lectures, mais c'est la première fois que je la lis. 

C'est une histoire de deuil et d'amour, et de ce qui se transmet d'une génération à une autre sans savoir, le bon comme la malédiction. C'est une histoire où les femmes se soutiennent, s'entraident et s'en sortent. De légendes indiennes qui resurgissent sans qu'on comprenne prosaïquement ce qu'il se passe, mais qu'on accepte comme un fait, pas comme un phénomène.

L'écriture est belle, et me fait l'effet d'un carré de chocolat à sucer lentement. Chaque mot compte, chaque phrase a plusieurs niveaux de sens, et je me suis régalée à relire plusieurs fois certains paragraphes pour m'en repaitre (sans danger!).

Quand aux mères, les nôtres et celles que nous sommes, il y aurait tant de choses à dire...

Je me contenterais de dire que c'est aussi ce que nous en faisons, que ce soit un cadeau ou une malédiction.