samedi 13 février 2016

Garder les yeux ouverts

Banc public - en France

".... Il y a cette ville invisible, au coeur de la ville. Cette femme qui dort chaque nuit au même endroit, avec son duvet et ses sacs. A même le trottoir. Ces hommes sous des ponts, dans les gares, ces gens allongés sur des cartes ou recroquevillés sur un banc. Un jour, on commence à les voir. dans la rue, dans le métro. Pas seulement ceux qui vont la manche. Ceux qui se cachent. On repère leur démarche, leur veste déformée, leur pull troué. Un jour on s'attache à une silhouette, à une personne, on pose des questions, on essaie de trouver des raisons, des explications. Et puis on compte. Les autres des milliers. Comme le symptôme de notre monde malade. Les choses sont ce qu'elles sont
Mais moi je crois qu'il faut garder les yeux grands ouverts. Pour commencer"
No et moi - Delphine de Vigan 

Garder les yeux ouverts. 
J'aimerai pouvoir les fermer de temps en temps. 
Me reposer de la misère du monde.
Je les vois tous, 
ceux qui traînent,  
ceux qui font semblant de s'occuper,
ceux qui ont du noir sous les ongles,
ceux qui sont tangeants,
ceux qui ont le regard hagard.
Ils me font pleurer parfois le soir, quand je suis fatiguée. Ils me poursuivent quand je suis gelée sur mon scooter et qu'ils sont allongés à même le sol, exposée au monde.

Il y a le jeune black, grand et gros.  Comment peut il être encore gros alors qu'il est la depuis plus de deux ans maintenant? Il a neigé, et il est resté. Il pleut, il ne bouge pas.  Son campement a été déplacé de quelques mètres pour construire un relais électrique.

Il y a la vieille dame de la ligne 3 qui attend au bout du couloir de la station en disant que sa retraite ne lui permet pas de vivre. Elle est propre, digne et ne regarde personne. je lui laisse systématiquement un ticket restau, de la monnaie.
Je donne toujours aux femmes. Parois au hommes aussi. Mais aux femmes toujours.

Il y a celui à qui j'ai tendu une pomme dans le métro, qui s'est fâché. Il n'en a pas voulu. Et pourtant je suis sûre qu'il en avait besoin. Tangeant peut être. Accepter cette pomme aurait acté qu'il était à la rue, aurait définitivement dit qu'il en avait besoin. Ce n'était pas encore possible pour lui. Pas dans sa réalité acceptable. Ou tout simplement l'état de ses dents ne lui permettait pas de manger une pomme.

Il y a cette femme, cinquantaine, avec son fils, que je ne vois plus dans le RER. Je prends moins le RER, mais j'aime à croire qu'elle s'en est sortie et qu'elle n'est plus obligé de faire la manche.

Il y a ce gars de l'usine de Vannes de Michelin. Dans un séminaire de managers, il raconte son parcours " ''ai  4 enfants de 3 femmes différentes... j'ai beaucoup bougé dans ma vie.... j'ai été SDF pendant un an, à dormir où je pouvais". Il lui reste de mauvaises dents, une peau en carton et des joues un peu couperosées. A l'apéro, il boit du coca. 

Il y a...

Il y en trop.
Et certains s'en sortent.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire