lundi 10 février 2020

Piscine Olympique

Yves Desbuquois
"Imposante, elle se dresse entre les montagnes et la route.
Insolite, elle surgit au milieu de nulle part.
Impossible de l'ignorer.
Elle s'impose aux regards.
Elle se rappelle aux souvenirs des Champsaurins.
Nombreux ont appris à nager là.
Ancien lieu de rendez vous des jeunes,
elle a vu se former des couples.
Depuis, la nature a repris ses droits.
Les artistes ont trouvé des murs pour s'exprimer,
Impossible de l'oublier.
Impossible de ne pas l'immortaliser."

Mémoires des lieux ordinaires en Champsaur - photographies de Yves Desbuquois et Denis Lebioda

Il s'agit de la piscine Olympique de Saint Léger les Mélèzes. 
Tout le monde la connait dans la vallée. The place to be, quand on était jeune.
C'était mon premier job d'été. J'avais 14 ans, je tenais les vestiaires.
Lourde charge : donner les paniers rouges aux nageurs, les récupérer avec leurs vêtements, plus ou moins bien pliés, s'assurer qu'ils avaient bien pris le bracelet avec le numéro.
Puis attendre que l'après midi se passe, avant de les leurs rendre.
Je lisais. Parfois plusieurs livres dans la journée.
Je discutais avec les copains/ines qui venaient nager.
On écoutait Kool and the Gang sur un magnétophone.
Je me déplaçais avec mon 103 SP tout neuf.

C'était l'année où une colonie de juifs intégristes séjournait dans la vallée. 
Comme ils ne voulaient pas se mélanger, ils louaient la piscine le soir après la fermeture. Nous restions donc plus tard, une fois le public parti, une fois nos derniers copains ceux qui trainent partis,  pour tenir les vestiaires, nettoyer et fermer derrière eux.
Les femmes se baignaient tout habillée, avec leurs robes à manches longues et leurs collants. Elles enlevaient juste leurs gants pour entrer dans l'eau, et gardaient leur foulard. 
Les hommes se baignaient en maillots des années 50 qui recouvraient aussi le torse.
Nous n'étions pas censés regarder, mais c'était plus fort que nous, vite une fois leur dernier panier accroché sur le rack, nous prenions les escaliers pour observer ces gens, si différents de nous, prendre possession de notre lieu à ces drôles d'heures.
C'était fascinant ces façons de faire : les femmes de noir vêtues qui nageaient avec les enfants, certaines ne savaient pas nager d'ailleurs - jeunes ou vieilles -  et les hommes entre eux. Ils parlaient une langue étrange. Ils sont venus tous les soirs, pendant une semaine, se baigner après la fermeture, jusqu'à un horaire qui me semblait tardif pour cette activité. Leur exotisme se nichait jusque dans les horaires : se baigner jsuqà 20h ? Personne ne faisait ça chez nous, d'autant plus qu'il commençait à faire frais.

J'adorais cet endroit, lieu de rencontres, point de ralliement dans l'été qui n'en finissait pas.
Immanquablement elle ouvrait ces portes au 1er juillet et les fermait le 31 août, annonçant ainsi le retour en classe.
Ma soeur y a appris à nager.
Mon père y a eu un accident grave en réparant la chaudière.
Mon frère sautait du plongeoir de 5 mètres pour épater les filles.
Ma mère trouvait l'eau trop froide.
Je faisais quelques longueurs  : un bassin olympique de 50 mètres, tout de même.
Un symbole, qui a fermé en 1998.
Vieillir c'est ça; c'est voir disparaitre le monde tel qu'on l'a connu.



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