lundi 20 février 2023

Je vous ai déjà parlé de mon voisin?* - Episode #4

Je pars pour Nice quelques jours après. Nous sommes un lundi, chaleur de canicule malgré la fin d’après-midi, ça n’empêche pas les gars du bout de la rue d’être là avec leur survêtement noir et leur maillot sombre. Nombre de voitures sont mal garées gênent le passage, portières ouvertes sur le trottoir avec la climatisation à fond, sans compter les transats installés à l’ombre du trottoir. 

Mister Weed est en grande discussion avec deux des piliers du coin. Celui avec ses chaussettes blanches et les rayures bleu blanc rouge, sa banane et ses dents de travers, et l’autre plus épais plus vieux le visage avec été comme hiver sa doudoune sans manche. 

Soit je descends du trottoir et fais le tour des voitures garées, soit je passe au milieu de la discussion et les gars vont devoir se décaler.  Ils me voient arriver, se décalent, deux d’un côté un de l’autre. Je souris vaguement à Mister Weed et je passe.

-       Ça marche toujours pour les courgettes ?

Sorti de nulle part. Je m’arrête, me retourne, lui souris

-       Oui bien sûr !

-       Ma mère va faire le couscous alors c’est bien des courgettes dedans.

-       Oui surement. Je ne suis pas là ce soir, mais Tom est à la maison, allez sonner il vous donnera des courgettes, je le préviens.

Les courgettes ne sont le nom de code de rien du tout. Ce sont littéralement des courgettes. J’avais très envie de le préciser pour les gars du bout de la rue. 

Les courgettes sont des courgettes, et je suis bien ce que j’ai l’air d’être : une vieille bourgeoise de banlieue, bien habillée qui va prendre son Orlyval. Mister Weed est mon voisin. Uniquement mon voisin, à qui je donne des courgettes.

J’ai prévenu mon homme. Mister Weed n’est pas passé ce soir-là. Je l’ai guetté les jours suivants, on était fin juillet, il a du partir pour les Pyrénées, toujours sans son permis de conduire. 

Il rentre tard cet été-là. Encore plus que l’année précédente. J’ai l‘impression de ne pas l’avoir vu avant fin septembre. 

Et puis un soir d’octobre, à l’heure de préparer le repas, depuis la fenêtre de ma cuisine je vois deux personnes remonter la rue à pied, sur la voie, à contre sens, bien au milieu de la voie voiture. Je ne peux pas m’empêcher de penser que ce n’est pas prudent. Leur maman ne leur a donc rien appris ?

Mais quand je vois leur dos, ce n’est plus la même inquiétude. Ces gens sont armés, un bon gros flingue coincé dans la ceinture. Ils sortent un brassard en marchant. Ce sont des flics.

Et là c’est le show qui commence. Le déploiement des forces de l’ordre. Chacun des mots prend tout son sens. Ils sont très nombreux autour de l’immeuble des mandarins.

Deux camions blindés sont garés à un bout de la rue, et de l’autre plusieurs voitures banalisées, des personnes en civils, des hommes et des femmes, tous bien équipés. De loin on pourrait les prendre pour vous et moi. Ou plutôt pas moi. Plutôt des caïds d’ailleurs que des gens bien sous tous rapports. Ils ont plus d’une vingtaine, et plus encore dans la soirée.

Ca va durer toute la nuit et jusqu’au lendemain en début d’après-midi. Une valse de banalisés armés, de véhicules blindés, de chiens, d’allers et venues dans le hall de l’immeuble de la cage rouge des mandarins. Ils sont rentrés avec une énorme malle, longue et noire qu’ils portaient à deux, on a entendu du bruit qu’on n’a pas reconnu. On a vu des très jeunes adolescents se cacher dans le parc et filmer la scène avec leur portable, grimper sur le pilier du portail du parc pour voir sans être vus, avec l’agilité des félins, et la discrétion des guetteurs. Ils sont restés la soirée dans l’ombre du parc à épier ce qu’il se passait, que nous regardions aussi sans comprendre. 

Pas de sirène, pas de gyrophares. Quelques passages de voitures dans la rue, des passants. Une circulation presque normale, les flics en plus. Mon homme me dit avoir vu Mister Weed dans le hall, de l’immeuble qui parlait fort et n’était pas content. On n’a pas entendu Dounia aboyer. 

Après ce soir-là d’Octobre, les volets roulants ont été définitivement baissés et on n’a plus revu Mister Weed. Je me demandais où était son chien, en espérant qu’elle n’était pas restée enfermée dans l’appartement.

Plusieurs mois après, un panneau A VENDRE est apparu. Il a été enlevé la semaine dernière, avec les arbustes morts.

Mon homme s’est rappelé alors une descente de police il y a quelques années un matin un peu avant 7h quand il partait travailler en voiture. C’était il y a longtemps, un mercredi puisqu’il avait la voiture, bien avant qu’on parle de permis de conduire et de Pyrénées. Il se rappelait les ombres furtives autour de la porte de l’immeuble, les brassards orange, et le fait qu’ensuite on ne l’a plus vu pendant quelques temps. C’était une époque où il n’avait pas encore son scooter, où nos enfants étaient trop petits pour circuler tout seul, et où je ne saurai dire quand je l’avais croisé pour la dernière fois. Nous n’avions pas encore de courgettes, mais il devait déjà avoir des graines.

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