Dans la Vie, dans mes rêves, j’aurai voulu être
agent secret et écrivain. Les deux en même temps.
Une version féminine downsizée de John Le Carré en
un peu plus jeune, un peu moins britannique et
surtout moins talentueuse.
Dans
ma vie (la vraie), j’ai rapidement constaté qu’écrivain c’était compliqué,
surtout quand très jeune on s’est orienté vers un bac C (math-physique), suivi
d’études d’ingénieur et de jobs à l’avenant. J’ai déjà pris un virage sévère en
devenant coach (quoi un ingénieur qui parle de relations ? humaines en
plus ?), je ne peux pas continuer à tourner je vais finir par attraper le
tournis.
A l’origine déjà, je n’avais pas choisi la voie
royale pour le prix Goncourt (mais John Le Carré n’a jamais eu le
Goncourt !).
Ecrivain donc je n’y croyais plus, mais agent
secret si.
Enfin jusqu’à cet été.
Jusqu’au mercredi 13 août 2013, 16h07 pour être
précise. Il y a eu un avant et un après. Le genre de moment décisif dans une vie,
la Vérité tombe. Celle implacable de qui vous êtes et de ce que vous ne serez
jamais.
Mercredi 13 août donc, nous sommes en vacances, en
famille dans les Hautes Alpes, et comme toutes les années nous emmenons les
enfants à une après midi Acrobranches.
Vous savez, c’est le genre d’endroit où vous vous
prenez pour Tarzan (là les moins de 40 ans ne connaissent pas) ou un singe (et
c’est pareil car Tarzan c’est l’homme singe de la jungle). C’est un endroit
avec des parcours acrobatiques dans les arbres : vous portez un harnais,
vous être accroché à une « ligne de vie » (rien que le mot est
terrifiant, je ne vous parle pas
du concept !) et vous passez des « ateliers » (il y a
comme une notion de travail ou de jeu dans ce concept?) du type :
- tyrolienne : pendu à un
mousqueton, on se laisse glisser le long d’un fil sans voir le point d’arrivée,
- pont népalais : un pont fait de
planches longitudinales disjointes accrochées à un fil. J’ai bien dit « longitudinale » :
dans le sens de la marche. Si elles sont horizontales c’est un pont suspendu (j’y ai eu doit en Thailande, en
Malaisie,… dans ce genre de pays,c’est un vrai pont, pas juste un atelier)
- balançoires, lianes, échelles
de corde … bref rien de fixe, rien de solide, tout dans le vide.
Nous y voilà donc, à Laye pour être précise.
Plusieurs parcours sont proposés, selon les âges,
les tailles et les niveaux. Les deux grands sont désormais sur le circuit
Découverte « à faire en famille ». Tom va avec eux, et moi j’hésite
en me disant que c’est sympa une activité familiale. Germain est destiné au « Super
Kid » : pour les plus de 5 ans et plus d’1.2 m les bras levés. Un
parent accompagnateur est nécessaire sur le parcours avec lui. L’année dernière
dans le parcours du niveau juste en dessous aucun accompagnateur n’était
nécessaire, on pouvait les aider depuis la terre ferme.
Je me sacrifie, je n’irai pas sur le circuit
découverte (« 2 heures dans les branches pour les personnes en bonne forme
physique ») mais sur le « Super Kid » avec Germain : j’ai
plus de 5 ans et je mesure plus d’un mètre vingt les bras levés.
Après les consignes de sécurité, où on nous
explique comment s’accrocher sur la ligne de vie (2 mousquetonx qui doivent
toujours être enfilés sur le câble ad hoc)
et comment utiliser l’accessoire pour la tyrolienne (sans mettre les mains sur
le câble, sinon ça nous les broie), me voilà avec Germain au départ du
parcours. Ma sœur nous suit depuis le sol, son rôle sera crucial dans ce qui
suit.
Le parcours commence par une tyrolienne, longue, très
longue… Germain s’en tire comme un chef. Quand à moi, j’appréhende un peu,
plaisante avec l’encadrant qui nous aide à démarrer en m’interrogeant à haute
voix qui entre Germain et moi est l’accompagnateur de l’autre.
Je loupe l’arrivée de la tyrolienne, mes pieds
tapent sur le rebord de la plate forme à plus de 3 mètres du sol. Me voilà
repartie en sens inverse et bloquée au milieu du câble.
Heureusement j’avais écouté les consignes (c’est
une leçon de vie presque…) et je sais donc comment évoluer sur une tyrolienne quand
on est coincé au milieu.
Germain m’encourage, je ne suis pas très fière.
On enchaine par un pont en bois suspendu :
les marches sont en travers, tout bouge, mais il y a des mains courantes de
chaque côté. Je mets le double de temps de Germain pour traverser et doit
prendre sur moi pour surmonter mon appréhension, toujours sous les encouragements
conjugués de mon fils et de ma sœur (qui partage avec moi son peu d’appétence
pour ce genre d’exercice). Mais elle est au sol.
Je suis au bord du collapse quand je découvre l’ateleir
suivant : un pont népalais, très long (4 planches longitudinales, telles
des poutres ; à plusieurs mètres du sol). Le tout juste attaché par des
cordes, qui oscille tranquillement.
Germain est déjà de l’autre côté alors que je suis
encore en train de me demander comment je vais y arriver.
Ma sœur se (re)met à m’encourager. J’envisage de faire
demi tour, mais avec une tyrolienne au début , c’est impossible.
Je mets une éternité à traverser ce pont. Je demande
à Germain de ne plus me parler, je ne suis plus capable de lui répondre, je
l’entends à peine, prise dans mes affres, concentrée pour me contenir, contenir
ma peur, mon vertige.
Ma sœur me procure des conseils aussi rassurants
qu’elle peut :
- -- respire
- regarde loin devant toi,
- appuies-toi sur tes pieds plutôt que sur la
ligne de vie
- …
- - et puis si tu tombes tu seras juste pendue comme
une saucisson.
L’image est effrayante, je la remercie avec le peu
d’énergie qui me reste pour ses consignes.
Au bout d’une éternité, je suis enfin sur la
plateforme, alors que Germain est déjà à la suivante. Je reprends mes esprits.
Je suis épuisée. Il me faut encore tenir plus d’une heure, cela me semble
insurmontable.
Quand j’ai un peu repris mes esprits, je manque de
défaillir en découvrant l’atelier suivant. Une sorte de trapèze avec un rondin
en bois. Il faut monter debout dessus se balancer au dessus du vide et sauter
sur la plateforme suivante.
Impossible.
Je suis au bord des larmes, la crise de nerfs
n’est plus très loin.
Je considère la hauteur de la plateforme, je me détache,
m’assois, hésite.
Mon esprit rationnel reprend le dessus : j’ai
l’air bien plus con si je saute en dépit des consignes de sécurité et me fais
mal, que si j’appelle le gars pour qu’il m’évacue.
Sans compter l’assurance… (rationnelle je vous
dis).
C’est la meilleure décision que j’ai jamais
prise : arrêter là le massacre, me faire évacuer de ce parcours.
Ma sœur va chercher un des responsables.Il est
arrivé avec tout son matériel, a grimpé, m’a expliqué qu’il allait me descendre
en appel. Je précise qu’il doit y avoir 2,5m, 3 de hauteur tout au plus.
Le ridicule ne tue pas, la peur pourrait.
Curieusement, la manip de me lancer dans le vide
en rappel tenue par un gars qui a la moitié de mon âge et la moitié de mon
poids, ne me fait pas peur. La perspective d’avoir les deux pieds au sol sans
doute…
Une fois au sol, je retrouve quelques capacités
sociales :
- - ça vous arrive souvent d’évacuer des gens des parcours
comme ça ?
- - oui, on est là pour ça,
- - …
- - …mais du parcours enfants, c’est pas banal.
Voilà c’est dit.
Ce soir-là, dans l’équipe de l’Acrobranches au
moment du débrief de la journée, j’ai du faire le buzz.
Ma sœur m’a raconté que quand elle est allée
chercher le gars, il lui a demandé
- il est habillé comment l’enfant ?
Réponse de ma sœur : « c’est pas l’enfant,
c’est la maman… »
Alors c’est fini pour moi : je ne courrai
jamais sur le toit d’un train roulant à grande vitesse s’engouffrant dans des
tunnels, je ne ferais pas de course poursuite sur les toits des villes où
qu’elles soient et je ne sauterai ni d’un hélicoptère en vol, ni d’un pont…
En plus j’ai peur du noir, et je sursaute au
moindre bruit.
Alors agent secret….