vendredi 13 août 2021

Helléniques portraits élogieux - #Sur le bateau

Paros - Cyclades

Cyclades riment avec vacances idéales, le soleil, la mer, les maisons blanches et bleues. 
Pas exactement pour moi.
C’est un concept de vacances qui au mieux m’ennuie, au pire m’agace. J’y apprécie la chaleur et son odeur, la sueur qui dégouline le long du dos, les cailloux millénaires, sculptés qui parlent d’autres mondes avant nous, les fesses des statues qui ne demandent qu’à être caressées (et qu’on ne peut pas toucher), la feta partout, l’eau fraiche dans la gorge, le bruit du ventilateur la nuit plafond. 
Et c’est tout.
 




#Sur le bateau

Le départ du Pyrée a quelque chose de très typiquement portuaire et méditerranéen. La gare de train est le témoin d’une gloire industrielle passée : belle hauteur sous plafond, fer riveté, propre et calme. On pourrait s’imaginer à la descente d’un arrêt de l’Orient Express au début du siècle dernier. Dès qu’on est sorti de cet espace protégé, c’est la plongée dans le chaos, la chaleur, la crasse, le bruit, les trottoirs (s’ils existent) défoncés, du monde partout. On s’attend à être bousculé, piétiné, chaque café ressemble un bouge où prendre un verre est un acte d’une incroyable témérité. Traverser la rue pour rejoindre le quai est une revisite du déparquement, les feux tricolores changent de couleur sans incidence, aucune, sur le flot des voitures, ou des passants. 

Il est un peu avant 17h, la chaleur bat son plein, la file d’attente pour embarquer est le long du quai, en plein soleil, pas un brin d’ombre ni d’air. La longue file de gens avec leurs bagages, chapeaux, parasols et canaris en cage contemple les immeubles miteux qui leur font face, vantant des « greats rooms vith AC » des façades grises couvertes de poussières et de fenêtres aux rideaux qui furent un jour certainement blanc immaculé, et qui sont désormais aussi gris que les murs, offrant ainsi de jolies nuances de gris (peut-être cinquante) sur plusieurs étages. J’imagine aisément derrière, des prostituées et des marins tatoués, saouls et romantiques. J’ai du lire trop de romans. 
Mais je n’ai aucune envie de m’éterniser dans ce coin, fut-ce même pour vérifier les clichés sociologiques des ports. Le guide déconseille d’ailleurs de loger là, « quartier mal famé ». 
Cliché vérifié.

Un gars arborant fièrement le T-Shirt de la compagnie maritime (Blue Sky ferries, au cas où on aurait un doute sur la couleur du ciel dans les Cyclades) remonte la file de vacanciers-en-devenir avec leurs parasols et leurs canaris en hurlant un truc en grec, que même les grecs lui demandent de répéter. Une partie de la file se détache et forme une deuxième file. Impossible de comprendre le dénominateur commun des gens qui forment cette deuxième file : ils ont moins de parasols et de canaris, mais je doute que le gars au T-shirt Blue Sky Ferries hurle « ceux qui n’ont ni parasol ni canari, file de gauche ! ». On constate au final que les deux files se rejoignent et montent indifféremment dans le bateau. Un critère aléatoire pour dédoubler la queue, c’est créatif, et puis, essayer de comprendre le critère de sélection nous a occupé le temps de la queue. Sans jamais y arriver. Et sans utilité aucune, au final.
Le voyage sur le pont du bateau – cinq heures en tout -  est un voyage en soi. J’avais vu les canaris dans la file d’attente, pas les chiens. Sur le pont du bateau je les ai entendus.
5h dans les plaintes d’un animal de la taille inversement proportionnelle à sa maitresse. Le panier du chien était de la taille d’une cage de canari, c’est dire la taille de la maitresse. Les jappements stridents du cabot nain qui ont stoppé quand il a été sorti de sa boite, qu’il a pu boire et être caressé. Qu’est-ce qui lui a pris si longtemps pour le faire ?

5h dans les fumées de cigarettes des uns et des autres : des deux vieux à côté de nous, le plus âgé des deux marchait à peine, toussait entre deux cigarettes, et soignait certainement son cancer du poumon en espaçant de 60 secondes chacune de ses cigarettes. Celles de tous les gens qui venaient fumer sur le pont, les jeunes hommes pour se donner des airs viriles, les jeunes femmes pour se montrer branchées, les accros qui venaient toutes les 15 minutes, j’ai eu un panorama complet des fumeurs du pont 3.

5h avec des gens qui offrent leurs chants à qui n’en veut pas. Une petite guitare, des paroles en grec, des refrains pénibles. Comment dire à ces jeunes que chanter sur le pont d’un bateau n’a rien de cool et de romantique ? Que cela n’a pas attiré d’autres jeunes pour se sentir appartenir à une communauté ? Pourquoi croire que ce qu’on offre doit être bien accueilli ?

Je n’ai jamais vu autant de T-shirt à messages. C’est plutôt les hommes d’ailleurs qui arborent fièrement sur plus ou moins d’abdos des messages plus ou moins énigmatiques. Il y a ceux qui s’annoncent « prêt » (born ready) Prêt à quoi ? A une cigarette sur le pont ? Une photo Insta ? Une chanson en grec ?. Il y a ceux qui se déclarent « unique » : limited edition, 1/1. Ces T-shirt existe en français et en anglais. Le point commun entre ces deux porteurs de message est qu’ils étaient primo arrivants en Grèce : encore tout blanc.  Il y a les messages codés (non décodés à ce jour) : a girl is a gun. Je n’arrive pas à savoir si c’est sexiste, féministe, drôle, aucun de tout ça. Déjà on parle de fille, pas de femme, ensuite un pistolet pour moi est un objet (pas un sujet) et une arme : donc dangereuse. La théorie de mon iAdoe est que c’est un appât : les filles lui demandent ce que ça veut dire et hop il rentre en contact. Il y a aussi ce couple à messages, lui : « we can be a heroe just for one day » et elle : « love yourself ». Je leur aurais bien suggéré d’échanger leur T-shirt.
Si les femmes mettent peu de T-shirt  à message c’est surtout parce qu’elles mettent peu de T-shirt. Elles ont des mini crop top, voire juste des hauts de maillots de bains. Je n’ai jamais vu autant de corps dénudés en même temps, ailleurs qu’à la plage. Sur ces hauts-là, pas moyen d’y mettre un message, aussi court soit-il.

A l’heure du coucher de soleil, le défilé des personnes a connu un regain de variété, plus divers que les fumeurs, les chanteurs et les propriétaires de chiens. J’ai vu les Instagrameurs. Si on faisait des statistiques on verrait à l’heure du coucher de soleil un pic de posts sur Insta : le même cliché, la mer en sombre, le ciel en fond, un dégradé d’orange, le cliché des vacances paradisiaques. Je ne crois pas à la beauté photographique des couchers de soleil (encore moins sur Instagram), je crois qu’un coucher de soleil ça se vit. Ca se regarde seconde après seconde, sans rien faire d’autre, sans se rendre compte du temps qui passe et d’un coup on ne le voit plus sans qu’on ait compris comment. 
J’aime en particulier les couchers de soleil proches de l’équateur, quand le soleil ne se couche pas à l’horizon, mais au milieu de ciel. Cette magie-là me plait.
 

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