dimanche 17 janvier 2021

Compter #3 : réponse du magazine qui fut un jour mon preféré

Contre jour au Parc de Sceaux

Le 22 décembre j'ai écrit au courrier des lecteurs de Lire Magazine littéraire, agacée par le numéro  de décembre les 100 livres de l'année.  J'ai publié ici (et sur Linkedin une version un peu édulcorée) la lettre que je leur ai adressée.

J'ai reçu un réponse du "rédac chef", Baptiste Ligier le 25 décembre à 16h12.

D'abord, je n'aime pas ses éditos, je les trouve mous, et sans intérêt, d'une certaine manière ils ne retracent que le sommaire... Faire un édito est un art, au delà du sommaire et de l'air du temps, il fait donner le fil rouge du magazine, les choix faits et parfois "problématiser". Peu d'éditos valent la peine. Ceux de François Busnel, quand il était à la tête de Lire  - étaient des pépites... Et  depuis son départ, je lis évidemment América (et il a ya a dire sur le traitements du  sujet homme/femme dans ce magazine aussi!), mais surtout les grands thèmes de Lire sont devenus beaucoup moins interessants (qui s'intéressent aux animaux de compagnie des écrivains?).

Je sais, je râle, mais c'est tout de même le rédacteur en chef qui répond. Le jour de Noël. Ca m'interroge aussi. Que ce monsieur n'ait rien de mieux à faire le jour de Noël que de répondre à une lectrice agacée m'interloque. Tout le monde n'est pas obligé de fêter Noel, nous le fêtons nous-mêmes d'ailleurs d'une façon qui nous est propre et en dehors des sentiers battus de ce qui s'impose comme "traditionnel". Ce jour est tout de même un jour férié, n'a-t-il pas mieux à faire ? Comme par exemple lire des livres écrits par des femmes (je lui en dresse une liste si besoin!).

Il n'a pas pu s'en empêcher. Il n'a su s'empêcher de rien. Et pourtant ça commençait bien.

Me proposer de m'envoyer "quelque chose qui devrait me faire plaisir" a été son premier faux pas, avec moi du moins. S'il voulait vraiment mer remercier, il a mon nom et mon  prénom, ça doit être très simple de récupérer mon numéro d'abonnée et mon adresse et d'envoyer ce qu'il veut sans l'annoncer. 

Et ensuite il s'est justifié. En trop de points.

En détaillant d'abord tout le reste du magazine : "mais enfin Monsieur, je sais lire. j'ai lu le reste, j'ai  tout lu ce que vous mentionnez". Camille Laurens (trop conventionnelle pourmoi), et Enid Blayton (trop caricaturale), et j'adore la chroniqueuse qui suit qui explique pourquoi elle déteste Le club des 5.

En expliquant que d'autres que moi (lectrices) se mettent en colère quand il y a trop de femmes mises en avant "Monsieur, c'est à cela que sert un édito, à expliquer les choix. Mais j'en conviens  pour que les gens lisent l'édito, il faut qu'il ait du relief". Je n'ai pas lâché la lecture de l'édito, j'en commence toujours la lecture, et je vais au moins jusqu'au 1er paragraphe, parfois plus loin, rarement jusqu'au bout. Insipide, je m'y ennuie, autant lire le sommaire.

En disant que son métier est compliqué entre les retours des lectrices et la composition de la rédaction "Monsieur, c'est exactement votre job. Je vous dois cependant de reconnaitre qu'au moins vous y réfléchissez."

Je crois qu'au final, même si ce n'est pas la réponse que j'aurai aimé recevoir, sa lettre m'a faite sourire, surtout la fin un peu en vrac, pas très organisée dans ses arguments (un peu comme ses éditos),  un peu comme quelqu'un qui fait une conversation, sans réfléchir à son papier. Ca a le mérite d'un minimum d'authenticité, du gars un peu pris au dépourvu, et qui tente quelque chose. 

J'ai donc réfléchi à une réponse qui m'aurait plu. Elle aurait été plus courte, sans justification aucune, et aurait dit ce qu'il faisait de mes questions : comment ça l'interpellait, qu'est-ce que ça posait comme sujets chez eux : dans leur organisation, dans les équilibres  entre les deux rédactions, dans les reflets de la société à traiter en littérature... Ce qu'il a un peu tenté dans son courrier. Je crois qu'en réponse j'aurai aimé connaitre les questions qu'ils se posaient au journal sur ce sujet. Il l'a un peu fait, mais pas assez, trop dans une position défensive, un peu en position de "'mansplaining".

Oui je suis exigeante. Nous devons tous l'être. Pas que les femmes.

Chère lectrice,

Tout d'abord, je tiens à vous remercier pour la richesse et la précision de votre message - nous ne recevons pas tous les jours des missives aussi détaillées dans leur contenu. Il convient d'ailleurs de prendre en compte ce que pointez et j'aurais tendance à dire que nous avons justement besoin d'être mis en alerte pour pouvoir proposer la meilleure publication possible. De rectifier le tir, si cela s'impose dans la gestion des multiples paramètres à prendre en considération. 

A ce titre, Lire Magazine littéraire n'existant en tant qu'entité unique que depuis juillet, pourriez-vous m'indiquer si vous étiez parmi les abonnés de Lire ou du Magazine littéraire (les profils des lecteurs de ces journaux sont, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, très différents)? Et pourriez-vous me donner votre numéro d'abonnée et vos coordonnées ? J'aimerais en effet, pour vous remercier, vous faire parvenir quelque chose qui devrait vous faire vous faire plaisir (enfin, je l'espère !). 

J'aimerais toutefois rebondir sur certains faits ou arguments que vous avancez. 
Vous oubliez en effet que, dans ce numéro de fin d'année, le titre de livre de l'année a été décerné à... "Fille" de Camille Laurens, avec un entretien sur six pages, par Claire Chazal. Je ne sais pas si vous avez lu ce roman - à mon avis, remarquable et important -, d'inspiration autobiographique (enfin, pas seulement...), mais il symbolise tout de même quelque chose. 

Aussi, vous omettez la présence du dossier principal consacré à Enid Blyton, sur une grosse dizaine de pages. Il nous a semblé intéressant de mettre en avant cette auteure, souvent un peu méprisée en France et pourtant essentielle dans l'histoire littéraire (au-delà du seul rayon "jeunesse"). Fait troublant, à l'opposé de votre vision, nous avons reçu des courriers nous reprochant d'avoir voulu "réhabiliter" la Britannique pour des raisons extra-littéraires et de féminisme opportuniste ! Si vous reprenez ce dossier, vous verrez d'ailleurs que nous avons laissé une parole "négative", représentant ceux qui n'aiment pas Enid Blyton, à notre chroniqueuse Stéphanie Hochet. Et pas à un homme...  

Cela me rappelle plusieurs messages de lectrices furieuses du numéro de rentrée qui, dans les choix rédactionnels, mettait majoritairement en avant des romancières (si, oui, Emmanuel Carrère était le sujet du grand entretien de Claire Chazal, les "gros sujets" étaient quasiment tous féminins : l'univers dédié à Carole Martinez, un portrait de Muriel Barbery, une ouverture du cahier critique sur les romancières québécoises - je vous recommande le Marie-Eve Thuot, aux éditions du Sous-sol -, une ouverture étrangère sur les héritières de Toni Morrison... Sans oublier le dossier Simone de Beauvoir !). Il ne s'agit pas de reprendre un numéro "numériquement" très féminin dans son contenu, mais de signaler des réactions négatives sur celui-ci de la part de femmes suspectant une volonté "politique" prenant le pas sur les seuls jugements littéraires (les lectrices en questions n'ayant pas forcément apprécié plusieurs des ouvrages que nous avions choisi de soutenir, pourtant hors de toute question de genre - à savoir ceux de Carole Martinez et Muriel Barbery...). Comment, dès lors, trouver un équilibre, une position entre ces réactions et votre message ? J'avoue, humblement, que c'est très compliqué... 

La meilleure manière de tenir la ligne rédactionnelle de Lire Magazine littéraire, en ce qui concerne le cahier critique, est avant tout de se baser sur les préférences des rédacteurs et la nécessité de traiter l'actualité. C'est sur cette sélection qu'ensuite, des équilibres, fatalement imparfaits, inexorablement injustes et sujets à la critique, peuvent être trouvés. Et ceux-ci sont multiples : les lecteurs doivent avoir à la fois des ouvrages très grand public et d'autres plus pointus ; des écrivains très connus et des découvertes ; des romans intimistes et des fresques ; des gros pavés et des opuscules de quelques dizaines de pages... Prenons le cas de la littérature étrangère : il faut que des langues très variées soient au coeur du numéro mais, problème, la production éditoriale traduite est très majoritairement anglo-saxonne...Pour les essais et documents, il semble également essentiel que les disciplines traitées soient multiples (histoire, société, psy, philo, sciences, enquêtes, etc.). Ajoutez à cela la variété idéologique ou doctrinale, et l'envie donner une chance à un maximum d'éditeurs - même si les grandes maisons ont souvent une large part, pourtant pondérée par nos soins... 

En ce qui concerne la rédaction de Lire Magazine littéraire, vous n'êtes pas sans savoir qu'elle est le fruit de la fusion de deux rédactions et que les membres de celles-ci, pour l'essentiel des pigistes, ayant choisi de suivre cette aventure (certains ont préféré partir, et c'est un choix naturellement respectable) ont des droits (heureusement !) et certains "volumes de piges" à respecter. Numériquement, les hommes doivent dès lors être légèrement plus nombreux dans cette nouvelle structure mais il n'y a pas, dans le détail, d'incidence dans les préférences du cahier critique de la part des un(e)s ou des autres, je vous assure. Le numéro évoqué n'est, d'ailleurs, pas forcément le plus représentatif car, derrière la formule "les 100 livres de l'année", il y a une volonté de mêler des éléments très divers : coups de coeur des journalistes mais aussi succès majeurs de librairies et livres ayant provoqué un très large débat - histoire de proposer un panorama assez large entre "objectivité" et "subjectivité".Et, comme l'avez noté, nous sommes aussi tributaires des parutions, des catalogues des éditeurs, des programmations, des aléas des publications et du jugement que nous pouvons porter sur celles-ci...  Et des domaines éditoriaux où, selon les étiquettes, les hommes ou les femmes sont davantage publiés...

Par ailleurs, si l'on établit un système de représentativité sur tel ou tel critère identitaire (individuellement tout à fait recevable mais qui pourrait mener au final à des systèmes combinatoires très artificiels), sachez qu'il y a des domaines - au-delà de la question hommes-femmes - particulièrement problématiques (peu de le dire). Par exemple, je m'inquiète de ne recevoir, parmi les centaines de candidatures spontanées arrivées à la rédaction ces dernières années (pour Lire), certains types de profils qui pourraient enrichir la rédaction (qui, de surcroît, se révèlent généralement des lettres-types sans connaissance du projet ou d'intérêt pour le support...). Et, à l'inverse, d'avoir une très large surreprésentation de profils ou C.V. tout à fait intéressants et motivés, mais quasi-similaires et interchangeables. 

Pour reprendre des clichés, comment concilier le fan de romanciers très populaires, cherchant avant tout une littérature divertissement, et l'admirateur de poésie antique ou de philosophie germanique postmoderne ? Au-delà des attentes sur l'objet-livre (et sur nos envies de vouloir livre, à un moment donné, tel ou tel ouvrage), il y a aussi une grande diversité idéologique des lecteurs et nous nous devons de les respecter.

Au demeurant, nous sommes d'autant plus sensibles à votre message que le lectorat de Lire était, dans notre dernière étude, très majoritairement féminin (il faudrait voir dans quelle proportion exacte, désormais, avec Lire Magazine littéraire) - tout du moins dans les éditions courantes (c'était beaucoup plus équilibré, voire inversé, sur les hors-série...). Une différence qui correspond, grosso modo, à celle des lecteurs de romans (plus des deux tiers sont des femmes - de mémoire, c'est plus nuancé sur les essais et même inversé sur la bande dessinée) et à la sociologie des étudiants en lettres. Aussi - je le dis pour vous taquiner ! -, ne faudrait-il pas aussi établir la parité dans les universités afin que les garçons soient présents, pourquoi pas, à hauteur de 50 % ? Si oui, comment faire ? Long processus, j'en conviens... 

Avec quoi qu'il en soit, tout mon respect et l'assurance de mes sentiments les meilleurs,

BL, directeur de la rédaction de Lire Magazine littéraire

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