dimanche 17 janvier 2021

Sexisme ordinaire au bureau

C'est un long chemin glissant

Nous sommes lundi matin, en réunion Teams ce qui est devenue la norme dans l'année, et toutes les semaines (autre nouvelle norme qui me coûte et me saoule). Je suis avec mes 5 associés, des mâles blancs, quinquagénaires, hétérosexuels, en couple, tous en deuxième union (mariage ou pas) et les 2 plus vieux (51 et 56 ans) avec des femmes beaucoup plus jeunes (15 et 20 ans de moins). 

Je crois que je ne l'ai jamais formulé comme ça. Et ça me fait un choc. C'est ça mon environnement professionnel? C'est avec eux que je commence mes semaines, tous mes lundis. Ca manque de diversité. Régulièrement  je me dis que j'aime mon boulot, mes clients, que je trouve leur compagnie plus agréable que celle de ma boite, et pourtant il m'arrive de me demander ce que je fais encore là. Un malaise dont je n'arrive pas exactement à formuler. Je crois que je tiens une piste.

Donc lundi matin. On passe sur le fait que je suis la première à me connecter, toujours à l'heure. 

On passe aussi sur le fait qu'ils se racontent des trucs entre eux sur leur week-end, sur leur vie, ils font des blagues. Je serai incapable de dire de quoi ils parlent pendant les premières 5 mn. Je n'écoute pas, je ne participe pas, et on ne me demande jamais rien dans cette séquence. C'est encore plus facile d'être invisible à distance.

On passe aussi sur le fait qu'ils parlent beaucoup, chacun, sur tous les points qu'on a à voir. Ils ont toujours tous un truc à dire. Ces mecs doivent être géniaux, et je ne m'en rends pas compte.

On passe aussi sur le fait que j'ai du hausser le ton  quand on m'a coupé la parole alors que je n'avais pas fini. J'ai du dire plusieurs fois à la suite "j'aimerais bien finir", crescendo pour à la fois terminer ma phrase et dire mon 2ème point. On note que je n'ai pas dit "ta gueule j'ai pas fini", "ni laisse loi finir" mais juste  que j'aimerais bien finir ma phrase (au conditionnel tendance futur tout de même)

On passe aussi sur le fait qu'ils reprennent régulièrement les points des uns et des autres :  "je suis d'accord avec Kevin", "comme l'a dit Raoul", "dans la poursuite de ce qu'a dit Gaston"... C'est assez étonnant. Comme je m'ennuie beaucoup dans ces réunions, je vais compter ça demain : le nombre de fois où ils se citent les uns et les autres. C'est pernicieux, car quand je veux  faire passer une idée qui n'a pas été dite, je commence comme ça aussi "tout à fait d'accord avec Titi, et d'ailleurs....". Je dis rarement que je ne suis d'accord, je l'ai testé dernièrement, frontalement. Ca n'a eu aucun effet.

Une fois qu'on est passé outre tout ceci - je me rends compte que c'est déjà beaucoup, en vrai je suis déjà à saturation à 10h le 1er jour de le semaine -  on arrive à ce que je voulais vous raconter.

People review : c'est le moment où on fait la revue des consultants  selon notre référentiel de compétences (pas trop pourri le nôtre si on prend la peine de l'utiliser vraiment), chacun donne son point de vue en fonction des 4 cadrans du référentiel. Arrive le tour d'examiner le cas de Jennifer, qui est est la compagne d'un des associés (pas n'importe lequel : le Président fondateur). Et oui! Sinon ce serait trop simple. Donc ce monsieur, grand seigneur, propose de se déconnecter pour que nous fassions cette évaluation sans lui :  
  • ca depend ce qu'on évalue! dit le 1er
  • Rires. 
  • Il faudrait alors un 5ème cadran! dit le 2nd
  • Rires et considération sur le 5ème cadran.
Je suis atterrée. Mon micro est coupé, mon coeur bat à 200 à l'heure, j'ai l'impression d'avoir reçu un coup sur le plexus, je suis à bout de souffle.
J'ai été incapable de dire quoi ce soit sur le moment. 3 des gars ont participé à la blague, on rit comme si de rien n'était, y compris celui dont la compagne était évoquée. Les 2 autres, micro coupé, n'ont pas réagi  : je ne sais s'ils ont ri, s'ils étaient choqués. Pas de commentaires.
Banal. 
L'échange était banal.

J'ai mis la journée à digérer le truc et le soir j'ai pris mon téléphone  et j'ai fait le tour des 3 blagueurs.

Le premier qui anime la réunion : "oui c'était relou, on est trop nombreux  pour faire ce genre de blague". C'est une blague? Non, ce n'est pas une blague. C'est un propos sexiste et irrespectueux envers une de tes employées. 
Trop nombreux? Ca veut dire que si on est une petite boite on pourrait faire ce genre de commentaires? Dur. Mais je n'ai pas argumenté. Contente déja qu'il soit d'accord et qu'il dise qu'il fallait qu'"on" arrête. Pas moi. Vous.

Le deuxième - celui de la première repartie "ça depend ce qu'on évalue" - m'a écouté puis m'a dit "bonne soirée" et il a raccroché. C'était l'Antarctique sur les ondes.

Le troisième - celui  dont c'est la compagne dont on parle - m'a fait un discours avec des drôles d'arguments, peut-être des menaces (mais je ne sais pas à qui elles étaient destinées), bref une réponse embrouillée mélange de haine "c'était un rire félin", de rancoeur "ça fait 5 ans que je ris de ces remarques" et de généralité "dans cette boite on traite mal les femmes". Mais c'est TA boite, c'est TA compagne, c'est Toi  qui a le pouvoir  ici. Mais il m'a remercié d'avoir dit ce que j'avais à dire. Ouf.

Et c'est moi qui dis. Pas assez souvent, j'en conviens. Je commence comprendre pourquoi  je  rêve si  souvent de créer ma propre boite (si j'avais 10 ans de moins...), et pourquoi je fantasme de la créer avec d'autres femmes - presque uniquement.

Demain c'est lundi. Le premier lundi depuis la blague. Haut les coeurs.

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