Je suis abonnée à Lire magazine littéraire depuis des années, j’apprécie avec des hauts et des bas ; de plus en plus de bas, tout en me disant que je dois soutenir ce type de presse, parce que j’aime la littérature, toute la littérature. Mais force est de constater que je ne pioche plus mes lectures dans cette revue (où je pioche mes lectures fera l’objet d’une prochaine analyse).
Le numéro de novembre m’a profondément agacée, en le feuilletant j’avais l’impression qu’il n’y avait que des auteurs masculins, cités, photographiés, dont on lisait les extraits qualifiés d’ŒUVRE. A tel point que je n’ai pas lu ce numéro.Arrive décembre, avec les 100 livres de l’année selon Lire magazine littéraire. Même sentiment d’agacement ; cependant j’ai décidé d’être plus objective, alors j’ai compté. Un simple comptage, rien de scientifique, pas de population placebo, pas d’échantillon test. Juste 1+1+…
Je me suis contentée des pages 48 à 90 consacrées « 100 livres de l’année », celles qui font la couverture. 100 livres, j’ai noté 97 auteurs, parfois il y a 2 auteurs pour un même livre (les essais surtout) et d’autres fois plusieurs livres pour un même auteur (c’est plus rare).
Sur les 97 auteurs cités, 62 sont des hommes, et 35 dont des femmes - des auteures - soit 64% des meilleurs livres de 2020 pour Lire magazine littéraire sont écrits par des hommes.Je noterai juste ici que le Président Directeur de la publication est un homme, de même que le Directeur Général, que le Directeur de la Rédaction. Il faut arriver aux rédacteurs en chef adjoint pour trouver la première femme de la hiérarchie aux côtés d’un autre adjoint homme.Que dire des chroniqueurs ? 6 (dont Sylvain Tesson que j'adore, gentiment misogyne, si on peut être misogyne de façon « gentille ») parmi les 6, deux femmes chroniqueuses. Sur les 37 personnes ayant collaboré au numéro, 14 sont des femmes soit moins de 40%. Doit-on s’étonner alors d’une sélection très largement masculine ?
La moitié des auteurs cités ont leur photo en illustration : on voit donc entre les pages 48 et 90, 2 fois plus d’hommes que de femmes en photo. Ce qui est effectivement une illustration du monde qui nous entoure ! Pas du monde tel qu’il est et que nous voyons dans nos vies, dans nos familles, dans la rue, mais du monde tel qu’il est représenté.
Un seul auteur a droit à un « 4 pages » : c’est un homme, ensuite les reportages « double page » sont autant consacrés à des hommes qu’à des femmes (2 à chaque fois). De même pour les articles qui occupent une pleine page : 7 pour chacun des sexes, cependant les femmes doivent plus souvent partager leur page (2 « pleines pages » sur 7 consacrées à au moins une femme sont partagées) soit avec un homme, soit avec d’autres femmes (jusqu’à 3 femmes en même temps).
Et bien non.
- « Comment avez-vous fait vos calculs ? » Si vous ergotez sur mes calculs - sachez d’abord que je peux vous donner le tableau de comptage – c’est que vous vous trompez de sujet : ce n’est pas celui de la précision à l’unité qui importe, mais celui de la tendance, elle ne changera pas avec un en plus ou en moins. Et la tendance est écrasante.
- « On ne fait pas un magazine, et surtout pas les « 100 livres de l’année » avec un oeil sur la parité et sur le quota des pages attribuées aux deux genres ». Je l’imagine bien. Mais rien ne vous empêche de regarder le résultat d’ensemble et de vous interroger : est-ce représentatif de notre année littéraire ? Quels livres on a loupé ? Comment on a pu les rater ? Quels biais apporte la composition de notre staff ? de ces contributeurs ? Que pouvons-nous changer (si vous le voulez bien sûr) ?
- « On n’est pas responsable de la sélection des éditeurs et des sorties, on prend ce qui est présenté ». Et vous pourriez ajouter « On est juste à l’image de ce qui est publié ». D’accord. Alors, vous êtes d’accord de perpétuer la surreprésentation des hommes dans la littérature (et autres essais grand public). Vous pourriez, là encore vous poser la question de votre responsabilité d’éditeur de presse. Vous pourriez interroger cette surreprésentation, interpeller les maisons d’édition, en trouver d’autres différentes (que les grandes classiques), chercher, creuser, donner plus de place aux auteures… Bref, faire votre travail de journaliste et nous montrer les biais de notre monde au lieu de les reproduire.
Ne me demandez pas « Quelles auteures ont été oubliées ? » C’est vous les journalistes, pas moi. Trouvez-les. Ca nous évitera peut être d‘entendre parler toutes les années des mêmes auteurs et d’être saturé de Carrère, Mauvignier, Enard… tous très bons, mais omniprésents.
Par pitié évitez moi : « si on va par là, il faut qu’on aussi qu’on se mette à compter toutes les minorités». D'abord, les femmes ce n'est pas une minorité, c'est la moitié de la population. Et oui, il faut bien commencer bien quelque part. Et vous en êtes à peine au début.
Et oui, je suis d’accord avec vous, plus de parité dans votre équipe ne garantit pas une meilleure représentation (au sens plus juste des hommes et des femmes) dans les pages de votre magazine (quoi que ?). Mais démontrera que vous en avez conscience et que vous y portez un minimum d’attention.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire