mardi 18 octobre 2022

Je vous ai déjà parlé de mon voisin?* - Episode #1

Il a toujours été là. Aussi loin que je me souvienne il a toujours habité dans ma rue. Sur le trottoir d’en-face, un peu en décalé le premier immeuble après la maison rose. L’appartement a du être vendu, il n’y a plus le panneau bleu et jaune A VENDRE devant.

De toute façon, depuis la descente de police il y a maintenant un an, il n’habitait plus là. 

Il y a une douzaine d’années quand on a aménagé dans la rue, il était déjà là. Il me semblait jeune, il m’a toujours semblé jeune. J’ai appris en lisant l’article dans le Parisien qu’il a 39 ans quand il s’est fait arrêté. Il fête ses quarante ans cette année. Dans ma tête je le pense jeune, mais à 40 ans on ne l’est plus tout à fait, même si on roule sur un scooter plein d’autocollants, même si on n’a toujours pas son permis de conduire.

Il a pris des années comme nous, il s’est empâté comme nous, il a des nouveaux tatouages (pas comme nous) surtout depuis son arrestation. Un grand qui occupe presque tout l’intérieur de son avant-bras droit : un flingue. J’ai l’impression de l’avoir toujours vu promené son chien dans la rue, avec son survêtement sans forme, ses maillots de foot, et le T-shirt du PSG pour le chien. On s’est toujours dit bonjour de loin, d’un trottoir à l’autre, d’un signe de tête. C’était déjà plus que d’autres dans la même rue.

Son appartement était situé au rez de chaussée, les fenêtres donnent sur la rue, protégés par des barres et les volets roulants ne sont jamais ouverts en grand, au mieux, ouverts au tiers de la hauteur. Après la descente de police, les volets sont définitivement restés fermés, les deux arbustes dans les pots qui végétaient sur le rebord de la fenêtre ont séché sur pied. Ils ont ensuite disparu avec le panneau A VENDRE.

Je ne sais plus à quand on a remarqué que des gens tapaient à sa fenêtre, puis rentraient dans le hall de l’immeuble, ne restaient pas longtemps et repartaient vers le RER. Des jeunes surtout, de toute classe sociale. Pas du quartier. Sans que ce soit un défilé incessant, suffisamment régulièrement pour qu’on le remarque et qu’un jour notre fille le prénomme Mister Weed.

Le nom lui est resté. 

Le va et vient a la fenêtre s’est arrêté sans qu’on le remarque cette fois. Avec le recul, il a été couplé à la croissance des gars qui squattent à la sortie du RER, sur les marches de la station et les tables hautes dehors du café d’en face. Il a coïncidé aussi avec le changement de propriétaire du café. Des chinois l’ont repris, les habitants du quartier l'ont déserté, des nouveaux gars se sont installés, en bande, sur des chaises pliables, tous carburant au café, jamais d’alcool à l’horizon même en fin de journée, ils fument c’est tout. Le soir, quand on passe, ça ne sent ni la bière ni le pastis.

Et on l’a vu plus souvent au bout de la rue à la station de RER, ou sur le banc à l’angle chez lui, assis à l’ombre de l’arbre jouant avec son chien. On l’a vu aussi sillonnant le quartier avec son scooter. Il nous faisait rire avec son air d’ours de cirque sur un petit vélo, il agitait la main quand il nous croisait.

Je me suis demandé ce qu’il devenait pendant le confinement, avait-il un job essentiel ? Que faisait il ? On l’a vu avec son deux roues au delà du kilomètre dérogatoire (nous aussi) sonner au portail d’une belle maison sous l’aqueduc. On s’est dit qu’il survivait au confinement et qu’il faisait désormais des livraisons à domicile.

Et un jour, il a parlé à notre fille quand elle rentrait du lycée, après le bonjour et avec j’imagine son petit hochement de tête: « elle ne me vendrait pas son scooter ta mère ? ». S’ensuit une petite conversation, où notre fille lui explique que non, que je m’en sers beaucoup et surtout que j’y tiens. Ça l’a faite rire ma fille, cette demande spontanée dans la rue, cet échange avec Mister Weed, qu’on voyait depuis des années, qu’on saluait sans se connaitre. Le plus long échange de mots, le premier depuis toutes ces années.

La fois suivante, quand il m’a croisé, il a repris la conversation : « votre fille m’a dit que vous ne voulez pas me vendre votre scooter ? »

Moi amusée : qu’est ce que vous voulez faire avec mon scooter, vous en avez un 

Lui : le vôtre a l’air bien, j’ai pas le permis 

Moi : comment ça vous avez pas le permis ? Un grand garçon comme vous!

Lui : j’essaie, je prends des cours à Montrouge, mais c’est pas facile. Je ne me sens pas prêt . dans mon autoécole, il y en a deux qui l’ont loupé.

Moi : faut persévérer, c’est utile le permis 

Lui  : oui je sais, j’en aurai besoin cet été, je vais chez des potes dans les Pyrénées, c’est plus facile quand on a une voiture. 

Je n’ai pas compris le lien entre mon scooter et son permis, et les vacances dans les Pyrénées. Nos conversations suivantes seraient toujours un peu de cet ordre ; il part d’un sujet et arrive sur un autre. Je rebondis mais je ne comprends rien au fil de la conversation. Et pourtant j’écoute, je suis attentive, je suis bien présente quand il me parle Ce fut la première d’une longue série, désormais on se parlerait toujours un peu quand on se croise. 

Cet été-là, il est parti fin juillet dans les Pyrénées, sans son permis. Il est rentré bien après nous, en septembre, content et toujours sans permis. 


* la phrase du titre n'est pas de moi, mais de lui. Vous le comprendrez dans l'épisode 2.

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