lundi 17 octobre 2022

Lettre à une amie qui a eu 50 ans cette été

Notre vallée

Cet été, une de mes amies d'enfance a eu 50 ans. Je n'ai pas pu aller à sa fête, on m'a demandé de lui écrire un texte qui serait inclus dans un livre "de sa vie". 

Je le partage ici, par ce qu'il parle de jeunesse, nous avons tous eu la nôtre et il y a quelque chose d'universel dans la façon dont on se la raconte, dès lors qu'on a passé 50 ans.

Impressionnisme d’une jeunesse

Plus que des moments précis, des instants éclairs ou des anecdotes c’est d’abord le souvenir de ma jeunesse. Il n’est pas possible d’évoquer ces vingt premières années de vie sans parler de toi, sans parler de nos étés surtout.

Il y a des photos de nous petites, qui ne remontent pas dans ma mémoire, mais qui attestent, année après année, les rencontres, les jeux, les moments passés ensemble. 

Nos mères étaient amies d’enfance, elles avaient la Provence en commun dans leur enfance et leur jeunesse, elles ont imprimé chez nous, une habitude d’enfance et une amitié de jeunesse. Non plus en Provence, cette fois mais là où se déroulaient leur vie d’adultes d’alors, dans le Champsaur.

Puis il y a eu les années « Auberge ». Là encore, plus que des souvenirs à raconter au coin du feu ou des anecdotes à rabâcher, une impression de jeunesse, une impression où tout était possible, où en bande on était les Rois du Monde.

On a été d’abord nous-mêmes en vacances là-bas avec d’autres, certains resterons dans nos vies longtemps, d’autres ne feront que passer. Les repas de fête avaient tous un gâteau au yaourt en dessert, les soirées réussies des chants à la guitare autour d’un feu, les jeux olympiques occupaient des journées entières, et la gamelle était le jeu moderne par excellence.

C’était une époque où on s’arrêtait pour goûter, ou certains mangeaient le pain avant le chocolat, d’autre le chocolat et pas du tout le pain. Je ne sais plus comment toi tu faisais, mais tu étais du genre à laisser le pain. 

C’était une époque où aller dormir à la cabane des Tourengs était l’aventure absolue, où camper à la Coche était l’expédition, marcher de nuit super excitant, se parler tard dans le noir extrêmement transgressif, et dormir dans les bat-flanc un luxe extraordinaire (surtout après le camping sauvage).

C’était une époque où la douche l‘était l’exception et pas la règle, même après les ateliers poterie, ou peinture.

C’était une époque où les photos se développaient encore dans le noir, et apparaissaient progressivement, et parfois elles étaient ratées, et ça nous attristaient. Tout était à refaire. Mais quand dans le labo, apparaissait nos bobines, c’était la fête. Chaque photo était un trésor.

C’était une époque où on adorait les « temps libres » pour aller se vautrer dans la bibliothèque, où celui qui avait le tome 1 de « à la recherche de Peter Pan » était le plus veinard de la bande, et où on cherchait les autres Jonathan parmi le bazar qui régnait là dans les bandes dessinées.

On pleurait à la fin du séjour, on écrivait des mots ou des pages dans « le livre d’or », on jurait de se revoir l’année prochaine. Nous on se revoyait toujours, un peu dans l’année, surement l’été d’après et parfois même l’hiver.

Un été, on a changé de côté, on a été celles qui faisaient les programmes de la journée, qui grattaient la guitare le soir autour du feu et qui chantaient avec les plus jeunes. On a été celles qui « encadraient » les plus petits. On avait le droit de boire une bière le soir, ou des Irish Coffee l’hiver, on se couchait encore plus tard, après avoir discuté pendant des heures, sur des sujets que j’ai oubliés aujourd’hui mais qui nous semblaient de primordiale importance parce que le monde était à nous, la vie était toute entière devant nous.

Un jour, on a été les grands, en autonomie, qui accompagnaient les plus petits. 

On a été celles qui rassemblent les petits dans une bergerie au fond de Prapic sous un orage de montagne, celles qui chantent à tue-tête pour qu’ils n’entendent pas le tonnerre gronder autour, et qui se marrent d’être trempées pour oublier d’avoir froid.

On a été celles qui organisent les équipes cuisine, vaisselle et soirée, qui se battent mollement pour qu’ils se lavent les dents, et prennent une douche, qu’ils mangent leur pain avec le chocolat au gouter, et qui savaient faire le gâteau au yaourt sans la recette sous les yeux.

C’est ça notre jeunesse.

C’est une fin de camp où le salaire est un billet de concert de Pink Floyd à Grenoble. Nous n’avions jamais eu meilleur salaire, pour un job qui ressemblait à des vacances. On a commencé la soirée par une corvée d’épluchure de patate chez la mère d’un d’entre nous.

Elle nous accueillait et nous nourrissait : à nous de faire le repas. Fou rire généralisé, là où on pensait enfin avoir fini des corvées, ça nous reprenait en traitre ! Peu importe les patates, on avait Pink Floyd en ligne de mire.

Dans la série jeunesse, il y a eu les cours de guitare, à la salle des mille-club de Pont du Fossé. Le pauvre gars s’est récupéré des ados, qui ne voulaient pas apprendre à jouer, mais juste les quelques accords pour chanter JJ Goldman et « venez à moi les Paumés ». On ne pratiquait jamais entre les cours, on n’était ni très douées ni assidues. Je ne suis jamais arrivée à jouer Goldman, et ce n’est pas très grave, j’ai continué à chanter faux autour des feux de camp aux veillées.

Il y a eu le voyage en Israël, une idée conjointe de nos mères. La préparation du sac de voyage, l’achat des pinces à linges en bois qui nous a été reprochée chacune par sa mère - à croire qu’elles s’étaient donné le mot -  « les pinces en bois tachent le linge… » Dit on toujours ça aujourd’hui ?

Il y a eu les années « cahier ». Je suis partie de la vallée, je suis allée faire mes études et j’ai écrit dans un cahier pour toi des pensées profondes sur le mariage, les copains, les responsabilités, la littérature, et plein d’autres sujets tout aussi spirituels. C’est confondant de naïveté, celle qu’on a quand on a 18 ans et qu’on cherche des réponses aussi dans les livres. Avec le recul, le cahier était un mode d’emploi de la vie qu’on s’est écrit à deux, moi surtout il me semble.

Il y a eu la fête de nos 20 ans. C’était l’année des miens, pas les tiens. Comme cette année c’est tes 50 ans, pas les miens. J’ai franchi ça l’année dernière, sans mode d’emploi. 

C’est probablement après que nos rencontres ne sont plus « notre jeunesse » mais notre vie d’adulte, de jeunes adultes, celles qu’on avait passées notre adolescence à imaginer.

Je ne serai pas là pour tes 50 ans, ce n’est pas grave, nous n’avons plus besoin de « mode d’emploi ». Je crois qu’en vieillissant j’ai appris une chose : c’est qu’avec le temps et l’expérience on arrive à vivre sans mode d’emploi !

Juste une lettre qui sera la trace de notre jeunesse.

 

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