mardi 25 octobre 2022

Je vous ai déjà parlé de mon voisin?* - Episode #2

L’année d’après, en juillet on retape un appartement à deux rues de chez nous. On quitte la maison tôt en habit de peinture, on rentre tard sales et fatigués. Ce ne sont pas ses horaires, on le croise peu, on ne peut pas parler du permis et des Pyrénées Si on me demandait, je dirais que c’est un noctambule, qu’il dort jusqu’en milieu d’après-midi et que sa journée commence vers 17h. Nous sommes quasiment en opposition de phase.

C’est mon anniversaire, un soir on se lave et en ressort au restaurant après notre journée de travaux. Diner, bons vins, dernier métro. Il fait chaud, clair de lune, Mister Weed est sous son arbre à minuit passé. On échange nos bonsoirs, vu mon état de fatigue je ne suis pas très encline à engager une conversation ubuesque sur son permis de conduire. 

Et ce soir là, la conversation pris une tout autre tournure. Alors qu’on l’avait déjà dépassé, il nous dit 

-       Je vous ai déjà parlé de mon chien ?

Moi : euh non .

Circonspecte. Une conversation sur le chien, qu’est-ce qu’on peut dire sur un chien ? Qu’est-ce que moi je peux dire sur un chien ?

Qui me connait ne serait-ce qu’un peu, sait que les animaux ne sont pas ma tasse de thé. Je supprime tous les comptes Instagram qui un jour, une fois publie une photo de chat, je ne trouve aucun animal « mignon », j’ai à peine du respect pour les souris qui me narguent quand elles courent dans ma maison.

-       Elle s’appelle Dounia. Elle est très sympa, mais elle n’aime pas du tout qu’on la caresse

-       Ah 

-       Ne tendez jamais la main vers elle, elle n’aime pas ça, elle pourrait vous mordre.

Tu parles, Dounia c’est un chien d’attaque. Je n’y connais pas grand-chose en race de chiens, mais je reconnais un chien d’attaque. Aucun risque que je tende la main pour la caresser même quand elle porte son maillot du PSG.

Il nous parle de Dounia, qui a fait une grossesse nerveuse, qui aime jouer, d’ailleurs elle a plein de jouets à la maison… Dounia n’a pas fait que des grossesses nerveuses, j’avais surpris une conversation entre Mister Weed et une jeune femme qui lui achetait un chiot.

Il se passe de choses dans ma rue.

Je lui demande comment lui il va, s’il a repris le boulot depuis que le Covid est terminé. J’essaie d’éviter de parler permis de conduire. Il va bien , mais il n’a pas repris, il a laissé tomber

-       Vous faisiez quoi ? 

Moi toujours curieuse de la vie des gens

-       Je travaillais au Stade de France, la sécurité, avec Dounia. Mais ça me saoule, j’ai pas repris

-       Et vous faites quoi alors ? 

Il est minuit mais pour une fois qu’on évite le scooter, le permis et les Pyrènées, je me lance.

-       Je vends des trucs sur internet 

-       Quoi comme trucs ? 

-       Des antiquités, des figurines.. Vous aimez les figurines ? J’en ai toute une collection, je vous montre si vous voulez.

-       Non moi les figurines ca m’intéresse pas. Mais si vous avez des graines de cannabis, ça je veux bien 

C’est sorti presque tout seul, fluide dans la conversation Depuis combien d’années je rêvais de lui demander ça ? J’y étais enfin arrivée ! Un peu comme un mot sophistiqué qu’on a hâte de placer dans la conversation. Un peu comme j’avais placé à 20 ans Umweltverschmutzung dans la conversation avec les Allemands (beaux gars) rencontrés sur la plage. J’avais un tonnerre d’applaudissements intérieurs, la danse de la victoire dans ma tête avec pow wow intégrés . Mon homme à côté n’en croyait pas ses oreilles et se marrait.

-       oui j’en ai. Venez je vous les donne.

Et le voilà qui se lève pour se diriger chez lui. Pas du tout surpris de la demande. Entre les Antiquités et les figurines, il était normal que je lui demande des graines. Après nos conversations sur le permis de conduire, j’aurai compris qu’il soit surpris. Mister Weed est un homme qui ne se laisse pas décontenancer.

-       Attendez, je n’ai pas de sous, je vais en chercher à la maison.

-       Non non, je vous les donne. D’ailleurs, je les ai eu gratuit.

A ce stade, je n’ai pas cherché à savoir ce que « gratuit » voulait dire : 

-       Ça m’embête que vous les donniez. 

-       Je vous dis que ça me fait plaisir. J’en fais rien de ces graines.

-       Je vous donne des courgettes alors échange. 

Juillet, mois des courgettes. Je sature : soupe froide, sautées, gratins, grillées… autant les échanger contre des graines.

-       Ben non, j’ai pas de copine pour les cuisiner 

Il va me fâcher avec son machisme basique

-       Un grand garçon comme vous (c’est une expression qui lui va bien), vous devriez apprendre c’est facile de cuisiner des courgettes 

-       Vous aimez les mandarins ? 

Il faut vraiment suivre la conversation avec Mister Weed. Entre temps, on l’avait suivi dans son hall d’immeuble et il nous entrainait dans la cour intérieure. 

-       Regardez j’en ai plein. Vous en voulez pas quelques uns ? Ils se sont beaucoup reproduits, j’en ai trop, ils se gênent.

De mémoire, il y en avait dix-sept dans l’immense cage rouge qui trônait dans la cour. 

-       Les voisins se plaignent un peu ça fait du bruit. 

On a regardé les mandarins pendant qu’il allait dans son appartement et revenait avec 2 pots en plastique. Il m a tendu les deux : 

-       Lesquelles vous voulez ?

Deux jolis noms, presque des haikus. De la poésie avant la récolte.

-       J’y connais rien, vous me conseillez quoi ?

-       Je ne sais pas en fait, j’y connais rien non plus.

J’ai pris celui qui sonnait le mieux à mon oreille. 

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