jeudi 31 décembre 2015

De quoi faut-il se réjouir? #4

qui a peur des femmes photographes?- Musée de l'Orangerie

De l'année bissextile qui arrive.
Nous aurons un jour de plus pour profiter de la vie.
Nous aurons un jour de plus pour

  • découvrir un nouveau vin qui ravira nos papilles. M de Manon Domaine de Trebaudon en rouge et un Viogner vendanges d'Octobre d'Ardèche en blanc (enfin doré quoi)
  • aller au cinéma, se faire raconter une histoire, s'éclairer de la vie des Autres. The Big short qui m'a démoralisé sur l'Ethique et le Système : mais comment en sort-on?
  • partager un bon moment. Un soir de juillet entre melon et pastèque, une soirée de tout de rien, de fous rires, ou après un anniversaire d'enfants un apéro impromptu qui dure jusque tard dans la nuit
  • offrir un livre : Grand Loup et Petit Loup d'Olivier Le Tallec à un homme de 60 ans dirige un groupe de 11000 personnes. Se voir en offrir un : Delphine de Vigan (une découverte pour moi) D'après une histoire vraie
  • rester à la maison, au coin du feu en hiver ou sur un coin de terrasse en été. Seul, à deux, à plusieurs, avec des copains, un thé ou du vin.
  • voyager, pour se former même si on n'est plus jeune et lire les récits de Sylvain Tesson, parce qu'on peut alors cumuler le point précédent et celui -à (voyager en restant au coin du feu, pour ceux qui ne suivent pas)
  • voir des belles choses pour se nourrir l'esprit, se laver les yeux et se réconcilier avec le reste 
  • s'endormir en se disant que demain est un autre jour.
Je vais m'endormir ce soir en me disant que demain est une autre année.

mercredi 30 décembre 2015

De quoi faut-il se réjouir? #3

Du service public. 
De France Inter en particulier. 
De ses programmes estivaux, pour être précise.
Il y a eu tout l'été une émission intitulée "ça va pas la tête". 
Disponible en podcast. 
Et bien ça va mieux après en avoir écouté quelques unes.
Que comme un fait exprès je n'ai écouté qu'après m'être lamentée sur ce que qui pouvait me réjouir.

Je conseillerai donc "Célébrons la joie avec ce bon vieux Spinoza" et "Dites un grand oui à la vie avec ce bon vieux Nietzsche".
Où on apprend que le joie n'est pas la béatitude, mais une aptitude de faire avec ce qui nous arrive. 
De ne pas lutter contre les éléments, mais de s'en servir. 
D'accueillir la contradiction, de cesser de vouloir être cohérent.
Et de s'en réjouir.
Voilà c'est dit.
A bon entendeur, salut!

mardi 29 décembre 2015

Si loin, si proche

La maison de mon enfance

Un ami d'enfance, en vacances dans la région de mon enfance à moi (qui n'est pas la sienne) se promène dans un livre d'aquarelles sur le Champsaur (comment ça vous ne connaissez pas? Je vous ferai un cours de champsaurin, un jour).
Je suis à Paris, lui à 700 km de là et quelques 1000 mètres d'altitude plus élevée, il croise dans ses pérégrinations picturales la maison de mes parents.
J'en suis partie la veille après les fêtes de Noêl, et elle me rattrape par un envoi électronique.
Avec les commentaires qui vont avec.

Comme quoi, l'enfance ne nous quitte jamais tout a fait.
Même quand on pense l'avoir laissée (ou abandonnée) derrière soi, elle nous rattrape.
Nos amis sont là pour ça.
C'est toute la gratitude qu'on leur doit.

De quoi faut-il se réjouir? #2

Vue de Gentilly - novembre 2015
Pas de quoi se réjouir non plus
De notre carnet de commandes au Cabinet?
Je n'en suis pas si sûre.
Ni de mon nouveau statut d'associé, qui a tant réjoui mon Compte en Banque.
Mais pas vraiment mon Equilibre. Ni ma Santé Mentale.
Bien que je ne sois pas certaine que les deux soient liés.

On devrait se réjouir d'avoir beaucoup de travail.
Que nos clients nous redemandent.
Que nous fidélisions les gens.
Que nous assurions notre croissance.
Mais pour faire quoi?
Changer le monde? Changer la société? Changer l'Entreprise?
Et chez nous, ça se passe comment au 5 rue Jules Vallès?
Mes collègues sont épuisés. Ca les rend bougons. Ca les rend grognons.
Ca crée de l'individualisme. Du repli sur soi.
On ne va pas jusqu'à voter à droite, ça reste un nid de gauchos.
Mais on s'aide moins, on se parle à peine, on s'évite parfois, on s'envoie balader aussi.
Et ils tombent malades. Au moment où ils doivent rendre un doc pour un client. Et ça retombe sur ceux qui sont encore là. Pas encore tombés au combat. Mais aussi au bord du gouffre.
"Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient touchés", disait-il.
C'est comme ça chez nous. En cette fin d'année.
Je n'ai pas signé pour ça. Je ne veux pas être complice de ça. Je ne suis pas patron pour ça.

Je ne veux plus de retour en train le soir tard, avec ma collègue au bord du collapse qui n'arrive plus à travailler. Alors je prends la plume, le clavier plutôt, à sa place. Et c'est moi le lendemain, qui suit borderline dans mes attendus.
Je ne veux plus de regards hagards dans les couloirs, entre deux notes, entre deux portes.
Je ne veux plus d'apnée, de mots suspendus, de gestes perdus dans l'openspace en pleine semaine.
Je ne veux plus de coups de fils de gens désespérés le vendredi soir qui m'expliquent que leur situation à eux est plus compliquée, qu'il faut que je les aide.
Je ne veux plus entendre les injures et les insultes de mes collègues sur les clients, signe de débordement, signe d'agacement, signe de trop plein, de manque de recul, de manque de respect.
Je ne veux plus dormir tout le week-end pour récupérer de la semaine.
Je ne veux plus vivre au dessus de mes moyens relationnels et annuler les diners avec de copains parce que je suis incapable d'être en contact.
Je ne veux plus d'un rhume qui dure un mois, qui me laisse aphone et me fragilise sur la période.

Je n'ai pas signé pour ça.

Que 2016 m'aide à trouver la volonté de puissance (comme dirait Nietzche, cf. billet suivant!).
Et comme je suis avant tout une existentialiste, en 2016 je vais oeuvrer pour y arriver.
Je ne veux pas écrire le même billet dans un an.


samedi 26 décembre 2015

De quoi faut-il se réjouir? #1

"pas ici tout de même" - Jérôme Delay

Je termine l'année dans une forme relative.
J'ai trouvé l'année 2015 difficile. La mienne, celle des autres, la nôtre, celle que l'on mène en France, celle que l'on voit dans le monde.
Par instants, qui sont malheureusement plus en plus nombreux, je perds foi en l'Humanité.
Et je ne sais plus quoi penser.
Ce qui est pire. Pour moi tout du moins.

De quoi dois-je me réjouir?
De quoi puis-je me réjouir?

Pas de ce qui s'est passé dans notre quartier, pas ce que qui est passé près de la Belle Equipe, pas de ce qui a touché mes collègues, celui que j'adore et celui que j'aime le moins - comme un fait exprès. Ils se sont retrouvés liés dans cette histoire d'attentat. Et les deux m'ont touchée.
Il y a celui qui un vendredi soir buvait des coups à la Belle Equipe, c'est à deux pas du bureau, et le vendredi soir, c'est facilement un coin pour une bière "after work". Un peu après 20h30, il s'est rappelé qu'un autre de nos collègues s'était fait piquer, un soir de "pub crawl", son sac de boulot avec son Mac (oui, j'ai aussi de iCollègues, après mon iMari) . Comme il était déjà au peu entamé par quelques bières, il s'est dit dans un moment de lucidité que ce serait une bonne idée de remonter au bureau poser son sac vue la suite de la soirée qui s'annonçait.
Eclair de Génie.
Eclair de Clairvoyance.
Eclair de je-ne-sais-quoi.
Toujours est-il qu'il est revenu au 5 rue Jules Vallès, au 2ème étage avec sa compagne et le pote qui l'accompagnait.
Quand il est redescendu, il a enjambé des gens allongés dans la rue. Morts.
Il a contourné des flaques de sang. En France, dans notre quartier.
Il a été dirigé par des flics et des militaires en dehors de la zone. Entouré de gens tétanisés. En silence.
Il a hélé des taxis qui ne s'arrêtaient pas, parce qu'ils avaient pour consigne de ne pas prendre aucun client à bord.
Il a marché comme des milliers d'autres pendant des heures, sans oser prendre le métro, pour regagner son domicile. En silence. Sans comprendre.
Il s'est dit que ce n'était pas son Heure.
Et il y a mon autre collègue. Le Jeune.
Celui dont le père a le même boulot que ma soeur.
Celui qui  ressemble tant à mes fils.
Celui qui est né quand je rencontrais mon premier amant.
Celui qui me propose une cigarette quand il veut me parler.
Celui qui me prend dans ses bras sans que je ne dise rien.
Celui qui  avec qui je suis liée par des fils invisibles.
Celui qui était ce soir là au Carillon et qui en a eu marre et a changé de bar un peu avant 21h.
Comme l'autre. Ce n'était pas son jour.
Comme l'autre, il a passé une nuit d'enfer.
Jusqu'à une heure avancée de la nuit, retranché dans un bar de la rue Oberkampf. Dans un bar qui avait baissé son rideau avec ses clients à l'intérieur, jusqu'à ce que la Police leur donne l'autorisation de rouvrir et demande aux gens de rentrer chez eux. Mais le quartier est bouclé. Ces jeunes rentrent à pied, à 2 heures du matin à travers Paris. Du 11ème au 14ème, sous une avalanche de SMS qui demandent si "tout va bien".
Rien ne peut aller bien. Et pourtant nous sommes là.
Nous sommes là le lundi.
Et les jours suivants.
Nous sommes là quand il faut aller faire une minute de silence à la Belle Equipe.
Je suis là quand il faut lui tenir la main. Quand il retient ses larmes.
Je suis là. Mais je n'en mène pas large.
Je dormais ce soir là. Epuisée, ces derniers temps, je sors moins. Je me tiens peu au courant.
Je n'ai appris tout cela que le lendemain.
Mes premières pensées ont été pour le Jeune. Et quand j'ai allumé mon téléphone, le message rassurant était là.
Merci.







dimanche 6 décembre 2015

Je suis en voie d'extinction

Roanne - 28 octobre 2015, 9h du matin

"Les poèmes ont sans doute le pouvoir de sauver le monde, mais ceux qui les lisent sont si peu nombreux, et leur nombre va diminuant : ils sont une ethnie en voie d'extinction. On devrait d'ailleurs leur accorder le statut d'espèce protégée et il faudrait que l'UNESCO pense à les inscrire au patrimoine de l'humanité."
D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds - Jon Kalman Stefànsson


Et donc en voilà un :

Je ne l'ai pas encore dit à mon jardin -
De peur d'être conquise.
Je n'ai pas encore la force à présent
De l'annoncer à l'Abeille -

Je n'en dirai pas le nom dans la rie
Les boutiques me dévisageraient -
Que quelqu'un aussi timide - aussi ignorant
Ait l'aplomb de mourir.

Les collines ne doivent pas le savoir-
Où j'ai fait tant de randonnées -
Ni dire aux forêts amoureuses
Le jour où je 'mentirai -

Ni le chuchoter à table -
Ni par inadvertance, en passant
Suggérer qua l'intérieur de l'Enigme
Quelqu'un marchera aujourd'hui -

Emile Dickinson