samedi 24 avril 2021

Ces hommes qui se disent féministes

 

Collage - femme penchée (avril 2021)

On parle de nouveau de Mathieu Menegaux, avec la sortie de son nouveau roman "femmes en colère" que l'on dit haletant, et sur lequel on ne tarit pas d'éloges. Inspiré par #metoo, il raconte l'histoire d'une femme violée qui se venge et se fait rattraper par la justice.
Je ne l'ai pas lu, je ne le lirai pas - c'est une année sans (lire des hommes) - mais pourtant ce livre me met en colère, lire sur ce monsieur me met en colère, toutes ces louanges me mettent en colère, surtout quand on vante cet auteur pour sa capacité à prendre la défense des femmes, à comprendre leur vécu, à combattre les violences... 
C'est un héros. Parce qu'il parle de femmes, des violences à leur encontre, de leurs luttes. Ca en fait un héros. En plus, il travaille dans un grand cabinet de conseil (le BCG). En plus de quoi? De travailler dans un cabinet de conseil à la réputation de faire plus de cash que de social. Et si ses livres étaient de la même engeance ? Plus une usine à vendre qu'un roman qui parle du vécu ?

J'ai lu "le fils parfait" sorti en 2017. Ecriture parfaite (sans fioriture, sans attachement "no punch line" dans ses lignes), intrigue au poil, sujet d'actualité (une femme qui découvre que son mari viole ses filles, il la fait passer pour folle, pour s'en sortir elle disparait, aidée par un policier). Il a bien compris le filon : la femme est une héroïne, elle ne reste pas victime, elle se bat et s'en sort (avec l'aide d'autres). Une usine à histoires, donc.

Ca me met en colère parce qu'il y a un exploitation de ces histoires de femmes, de violences faites au femmes et aux enfants. En plus de profiter du système, il réussit aussi à profiter de la critique de ce sytème. 
Ca me met en colère parce que ces histoires sont magnifiées, parce qu'elles sont écrites dans une épure qui les met à distance (comme sur des slides powerpoint). 
Parce qu'au final je ne suis pas certaine qu'elles aident qui que soit, ni même qu'elles se rapprochent d'une quelconque réalité (sans parler de vérité). Ces histoires font croire qu'en se battant on s'en sort, ces histoires font croire que se battre aide et que la vengeance est une issue. Elles font encore porter sur la victime la responsabilité de s'en sortir, elles nient le mal qui s'installe, les dégâts irréparables, le bagage que ça laisse. Elles parlent de faits et d'actions, pas de sentiments ni de vécu. 
Je ne nie pas qu'il a du se documenter avant d'écrire. Comme quand on présente un dossier à un client, on fait sa recherche et son analyse documentaire, pour "l'état des connaissances de l'art". C'est le ba-à-ba du consultant. Ca ne présume en rien de la qualité de l'analyse, ni de la proposition qui en est faite. Je lui reproche de faire ses livres comme ses missions de consultant. Je lui reproche le manque d'affect, je lui reproche la marchandisation.

Loin de moi l'idée de dire qu'un homme ne peut pas écrire sur une histoire de femme, ça signifierait qu'il n'est possible d'écrie que sur ce qu'on a vécu ou connait, et alors c'est la fin de la littérature. 
Loin de moi aussi l'idée de dire qu'il faut avoir vécu ces histoires traumatiques pour en parler, mais on a vu le coup manqué de Lola Lafon avec Chavirer, une collection de faits divers. Pour toucher, ces histoires doivent raconter plus que les faits. Mais c'est aussi ce qui fait un bon roman d'un autre qui devient banal. Et que peut être ce qui me met en colère est de faire un mauvais roman de ces histoires dont je n'accepte pas qu'elles soient banales. Je refuse tout simplement que ces histoires de violences, sur des femmes sur des enfants soient des histoires banales qui servent d'intrigues à des romans qui finiront dans l'oubli. 
Je refuse tout simplement qu'on oublie ces histoires, je leur refuse la médiocrité du romancier qui s'en empare et qui passe à côté.

J'ai du mal à me dire qu'il faut peut-être en passer par le fait divers pour "banaliser" ces histoires, au sens d'en parler partout, qu'elles occupent notre quotidien à l'image des chiffres qui leur sont rapportés. 
J'ai du mal à accepter qu'elles fassent des bonnes histoires (à défaut de bons romans) écrites par des hommes dans une visée mercantile.

Je ne sais si Mathieu Menégaux se dit féministe, je ne doute pas que d'autres le diront pour lui. Je préfère certainement la démarche de Yvan Jablonka dans "un garçon comme vous et moi" - que je n'ai pas lu, mais pour lequel j'ai lu critiques et interview - où il cherche sa masculinité dans les modèles dominants parmi "fort en drague, fort en transgression ou fort en classe", quand on n'est rien de tout ça. Il parle d'abord de lui, et s'interroge lui. Pas de leçon sur que faire et comment, de récit de résilience ou de vengeance d'un système oppressif qu'on ne voit que de l'extérieur.

Quelle place pour les hommes dans cette lutte féministe? En discutant hier avec une amie (qui élève des garçons), je me disais que peut-être la place des hommes est de se taire. 
Se taire sur les luttes des femmes, mais prendre la parole et agir sur les modèles masculins.

C'est aussi la position de Martin Page, qui écrit dans La Déférlante :

Quand les hommes osent se prétendre féministes, ils s'approprient des siècles de lutte sans que ça ne leur coûte rien. Ils en tirent un bénéfice tout en conservant leurs privilèges et en continuant à avoir des comportements sexistes sans doute plus discrets. soyons clairs : les hommes ne sont et ne peuvent pas être féministes. Pire encore nous avons du mal à être des simples alliés.
Il poursuit en disant que les hommes peuvent être complices en parlant à d'autres hommes pour casser les logique de complicité masculine, d'éduquer autrement les enfants, d'écouter les femmes et de reconnaitre quand ils se trompent et quand il sont oppressifs. 

En gros, il dit que rester à sa place d'homme, parler d'où il est et pas pour les femmes, c'est ce qui peut etre fait. 
Parler juste de son point de vue, et juste le temps qu'il faut.
On avait raison hier ma copette et moi : ils vont devoir apprendre à se taire.


vendredi 23 avril 2021

(De)compter et reconstruire, pour mieux voir

 

Collage - people and legs

En dehors de la lecture, j'ai d'autres centres d'intérêt, mais je suis toujours aussi "polar" (ie polarisée) ou encore obsédée, à en perdre l'interêt, quand le compte n'y est pas. Il m'est arrivé d'éteindre la radio (notamment France Info que mon iMari écoute de façon compulsive) quand au bout de 20 minutes je n'avais entendu que des voix d'hommes, aussi bien dans les journalistes que dans les intervenants et les interviewés.
J'ai aussi brusquement éteint France Inter lors d'une émission en pleine de sortie du livre de Camille Kouchner la familia grande, où il semblait important pour l'animateur (Nagui) de préciser que les cas d'inceste/de viol commis par les femmes ca existe. 
Oui, moins de 3% c'est important de la dire là? 
Et ensuite de s'étendre longtemps sur le film "Mourir d'aimer"avec Annie Girardot, sur le cas d'une professeur ayant eu une liaison avec son  élève de 17 ans et demi. Le film est basé sur une histoire vraie, la professeur a fait de la prison (combien des 98% autres violeurs qui sont des hommes en font dans le même cas? Moins d'un sur 100.: une victime sur 10 porte plainte et une sur 10 est condamnée). Et dans l'histoire vraie, ces deux-là forment un couple, ils ont passé leur vie ensemble et ont eu des enfants. Pourquoi passer du temps sur les 2% alors que le problème concerne les 98%? Parle-t-on de Luc Besson qui s'est mis en couple avec Maiwenn quand elle avait 15 ans? Il n'a pas fait de prison lui. Deux poids, deux mesures. Remettons de l'ordre.

Dans mes autres centres d'intérêt, au dela de la radio éteinte, il y a la photographie. Je vais voir des expos, j'achète des photos (notamment à distance, à une Russe, mon iMari a cru à une arnaque jsqu'a ce que je les reçoive par la poste), je visite des galeries et je suis l'actualité. L'actualité récente c'est le World Press Photo 2021. Sont récompensés les meilleur·es photographes de presse. Il y a 16 catégories possibles à récompenser. De la meilleure photo de presse thème "Général" à une catégorie "Sport". 
On notera qu'il y Environnement, Nature, Contemporary Issues et Sport. Il n'y a pas Travail, il y a Paysage, il y a des Histoires sur le long terme. Il n'y a pas Alimentation ou Mobilité, ou Migration, ou Femmes, ou Enfants mais il y a Sport. 
Je ne m'étais pas interrogée sur les catégories avant, c'est supposé refléter la presse, et donc peu de presse dédiée au travail, aux femmes, à l'alimentation...? La photo de mode (pour les femmes? quel cliché!) n'est donc pas digne de la photo de presse, mais le sport oui. 
A noter qu'en France, en 2017, ce sont les hommes qui lisent la presse. Si la tendance est la même partout dans la monde, en suivant les stéréotypes, on comprend pourquoi il y a une catégorie sport.

16 catégories, 3 prix à chaque fois (le premier, le deuxième, vous avez compris) soit 48 possibilités.
  • Sur 16 premiers prix possibles, elles sont 3 photographes femmes à avoir eux le premier prix. 3/16 (moins d'un quart)
  • Elles sont 4 à avoir obtenu un 2ème prix
  • Et 5 photographes femmes à avoir obtenu un 3ème prix.
Sur 48 prix possibles, elles n'en ont eu qu'un quart. Exactement un quart. Et pour la petite histoire, aucun dans la catégorie Sport. Pourtant il y a des femmes qui font du sport, et des journalistes sport qui sont des femmes (et pas des salopes).
Le jury de WPP est composé de 28 personnes, de tous pays et tous continents, on a leur photo, leur nom. Le compte y est : il y a exactement 14  hommes et 14 femmes. Alors, où est-ce qu'on se loupe?

Une première hypothèse est dans le mode de recrutement des nominés : il faut postuler. Ce n'est pas un jury qui examine l'ensemble des photos publiées dans la presse et leur impact. C'est chaque photographe qui decide de postuler en ligne à ce concours. Il n'y a pas les statistiques des postulants, mais je parie que les candidats sont nombreux, bien plus que les candidates. C'est culturel, les femmes postulent moins à ce genre de chose, déja elles s'y intéressent moins, et ensuite elles se sous-estiment, et donc partent perdantes. Donc le jury examinent bien plus de photo prises par des hommes que des femmes, et sans quota, la repartition est faite avant même que le jury se réunisse.

L'autre hypothèse - qui n'est pas exclusive - est la construction de notre regard. Ce qui fait une bonne photographie de presse repond à des critères probablement (et heureusement) subjectifs. On a surtout appris à voir le monde au travers du "male gaze" et on le reproduit quand il faut évoluer la qualité d'une photo parce que nous avons été habitué à ce regard-là. Changer notre regard ne se fait pas seul, changer nos lunettes prend du temps. Y compris (et surtout) pour un jury de photographes qui se jugent entre eux.

Pourtant, c'est bien de la responsabilité de ce type de collectif et de concours dont le crédo est "Connecting the world to the stories that matters". Cela ne peut pas être que des histoires racontées par des hommes.Sinon notre lien au monde est tissé par les hommes, et avec ce qu'ils pensent être important. 
C'est aussi comme cela qu'on se retrouve avec une catégorie Sport.
Je les ai interpellés la dessus. Et la Galerie Polka qui relayait les résultats du concours.
Je me suis fendue d'un mail à chacun, un en anglais, un en français. Ils sont moins promptes à répondre que Lire Magazine littéraire à Noêl.

La photographie est censée nous montrer le monde tel qu'il est et c'est bien le rôle de ces institutions de diversifier les points de vue pour en détourer quelque chose qui s'approche le plus de la réalité.
N'est-ce pas le rôle d'une galerie photo que de faire découvrir (et promouvoir) la photographie pour ce qu'elle représente du monde et donc d’assurer que cette représentation ne passe pas uniquement par le prisme du regard d‘un photographe homme?

Et choisir de mettre en avant aussi des photographes femmes.
Et de signaler quand une autre institution comme el WPP contest passe à côté de cet équilibre.

Soyons attentifs ensemble.