lundi 22 août 2022

Zone arctique #5 : de Vistas à Nikkaluokta, apprivoiser le retour à la civilisation


à Nikkaluokta

7h de marche
22 km + 12 km en bateau
Elan : 0
Crottes d'élan : trop pour retenir le compte
Rennes : 0, des empreintes + 1 sauté à la tomate
Lemming : 1
Ponts suspendus : 1 et 1 normal
Ruisseaux et torrents  : 3 dont 1 les pieds dedans 
Champignons : par milliers
Soleil et pluie la dernière heure
Pas de bastu, mais douche chaude
Vrai repas

Douce lumière du matin qui noie la cuisine du dernier petit dej du treck.

Une jeune fille marche avec nous, elle repart aussi par le bateau (au bout des 22 km), son père poursuit dans l'autre sens, il est rassuré qu'elle ne marche pas toute seule. 
Le chemin est dans une forêt dense de bouleaux, petits, tordus, tels des veinards maladifs.
De la boue partout, on teste l'imperméabilité de nos chaussures. 

Dernière étape, je me sens plus légère, surtout depuis que je sais qu'on ne marche pas les 34 km (soit entre 10 et 12h de marche) mais "seulement" 22km et que le périple se termine en bateau, dans le delta de la rivière (joli paysage parait-il, ce que nous confirmerons).

Peu de boardwalk sur cet itinéraire alternatif du fameux Kungsleden. Des grandes étendues spongieuses, entre la tourbière et la prairie humide. On longe la rivière sur les 22 kilomètres, elle se transforme de filets d'eau à gros torrent, avec des passages de cascades et de houles, tout cela semble bien périlleux en canoë ou en rafting : d'ailleurs il n'y en a pas sur ce tronçon.

Des panneaux marquent le décompte 4, 3,  2 et 1km jusqu'au bateau, posé sur le bord de la rivière, sans accotement ni ponton. Juste là. Pas de capitaine en vue. On y trouve une femme pieds nus avec un chien et un sac à dos plus gros qu'elle. 
Puis nos deux voisines de cuisine à Vistas arrivent sans sac à dos, alors qu'elles étaient parties dans une toute autre direction. Elles se sont faites attaquer par des ours sur le chemin vers leur refuge. Elles ont abandonné leurs sacs avec la nourriture et sont parties en courant dans l'autre sens (celui de la descente), retour vers la ville (le mot est fort) la plus proche, donc le chemin vers Nikkaluokta et le bateau. Elles sont gélées sous la pluie et mortes de faim. Dans notre grande mansuétude, on leur donne nos dernières noix et biscottes Wasa, de l'anti moustique et c'est tout.

Le capitaine du bateau arrive de la forêt un peu avant 17h, heure théorique du rendez vous. Life Jacket, veste pour le vent et hop on est parti. 
Le delta est magnifique (plus que la forêt), la rivière est large par endroits, plate comme une étendue d'eau et peu profonde. Le bateau à fond plat zigzague, passe par des bras de rivière étroits et improbables. 
Très heureuse de finir cette balade dans le froid, dans la vue...

Nikkaluokta est un centre de randonneurs, aussi point de départ pour l'ascension du Kebnekaise. La tenue montagne exigée, tatanes - chaussettes sa version confort du soir tolérée.
Avec bonheur, on a une cabine pour 6 personnes, les iAdo ont chacun leur chambre, les toilettes sont dans la cabine, l'eau est au robinet, l'électricité au bout de la prise, il y a une couverture réseau et même un peu de wifi dans le bâtiment et principal. Quel luxe!
Comble : il ya même des poubelles (tri sélectif obligé), nous ne sommes plus tensu de stocker et transporter nos déchets. Je vide enfin mon sac de nos déchets de ces 4 derniers jours.

Pas de sauna ce soir, on a faim, on file manger avant la fermeture du restau (18h30, heure des randonneurs). On se contente de la douche ensuite, plus le courage de ressortir dans le brouillard et le froid (mais toujours pas la nuit).

Il y a un drôle d'appareil dans l'entrée de la cabine : comme un frigo avec des barres à l'intérieur. On comprend  que c'est un séchoir à chaussures. Il est bienvenu, nous sommes trempés, chaussures et fringues après la pluie, tous les torrents traversés, l 'eau qui passe par dessus les chevilles...

Le lendemain, ciel bas, lever sous la pluie. Petit dej au chaud, buffet de montagnards dans la salle à manger entourée de bois de rennes et d'élan avec tous les randonneurs : ceux qui partent et qui sont sales comme nous, ceux qui arrivent et dont les habits sont encore tout propres voire avec les plis du repassage; tous en tenue d'apparat de marcheurs. Pas de jeans, pas de T-shirt fun. Des pantalons de montagne, des vêtements techniques, nous y compris.

Journée de trajets aujourd'hui : bus, voiture de location, aller retour juste dans le Nord pour récupérer les affaires qu'on avait laissé pour ne pas s'encombrer pendant la marche. 

Repas du soir à 17h, (on fait mieux que les radonneurs) chaud de nouveau (burger pour les iAdo, crevettes et poissons pour les adultes), vin (!). 
Le retour à la civilisation d'apprivoise.

Zone arctique #3 : d'Abiskojaure à Alesjaure, le bout du monde est un lac.

Alesjaure

6h30 de marche
22 km
Elan : 0, crottes d'élan : 3 tas
Rennes  : 2
Bébé rennes : 1
Lemming : 0
Bête inconnue : 1
Ponts suspendus : 2
Villages Samis : 2
Sauna + lac. Lavage de cheveu
Coup de soleil : probable.

Longue marche. Petit col de rien du tout, longs plateaux, lacs en enfilade.
Le bout du monde, tout au Nord, face à moi.
Le bout du monde est un lac qui s'étale gaiment à l'infini du paysage.
Des maisons rouges sur une rive à deux jours de marche de la civilisation (si on dit que la civilisation est l'eau courante et l'électricité). Que font-ils ici? De quoi vivent-ils?

Ce que j'aime dans la marche c'est certainement le moment où j'enlève les chaussures, où je prends un thé. puis le sauna évidemment , et le lac aussi. 
Après ce rituel, c'est comme si je n'avais pas marché. Du moins pour les muscles, pas pour le pieds.

Et j'aime avant aussi. La perspective de marcher, la perspective de la journée, l'anticipation du sauna et de quand ça va s'arrêter. 
La marche en elle-même, je ne sais pas. 
J'aime les endroits atteignables uniquement à pied, la vue qu'on a de là, le lent défilement du paysage, le balancement du pied puis l'autre. Le but qui se mérite. Ne rien pouvoir faire en même temps que marcher; Etre surprise par un renne qui apparait dans la paysage, par un lemming qui court devant mes pieds. Pensées qui viennent et vont et s'oublient. Se dire une chose et puis une autre, et tout oublier à l'arrivée. 
J'aime ces fjällstajon en semi liberté, qui fournissent un lit et une cuisine (et le bastu évidemment). Pas de bar, pas de restau, rien de superflu. Chacun son repos, son repas, son heure, son menu. 

fjällstuga d'Alesjaure
Et l'esprit collectif et contributif à tout cela. On va chercher l'eau chacun son tour, pour la cuisine, on va au slask quand le seau est plein, on coupe le bois pour le sauna (feel free to help est la devise). Mes iAdos se jettent sur la hache et la scie après les 20 km qui ne les épuisent pas. Ils passent une heure à couper du bois, là où moi je bois un thé.

Au bastu, on remonte l'eau fraiche dans les seaux quand on va se tremper dans le lac, on ajoute du bois dans le poêle quand les flammes se calment. 
Chacun fait ce qui lui semble être sa part.
Dans la cuisine, tout est toujours propre, et les ustensiles rangés.
Seule la cabane du gardien a un peu d'electicté (les panneaux solaires) et il y a au frigo deux boissons fraiches : du Coca et de la bière Carlsberg. Je n'aime ni l'un ni l'autre, ça ôte toute tentation d'apéro.

Beaucoup de marcheurs solitaires, des femmes, des hommes. Ils papotent dans la cuisine, au bastu.
Jamais fais ça. Ça me semble possible, mais dans la réalité? Quand tu fatigues et que tu fois encore marcher une heure ou plus, est-ce que le moral ne se met pas en berne?

Zone arctique #4 : d'Alesjaure à Vistas, loin de la foule

Vistas
6h50 de marche
19 km
Elan: 1
crottes d'élan : 6 tas
empreintes d'élans : beaucoup
Rennes : 1
Carcasses de rennes 3, dont une dont on relève les bois
Lemming : 1
Oiseaux  : beaucoup (des sternes, j'apprendrais plus tard)
Ponts suspendus : 2
Cabane de garde Sami : 1
Sauna et torrent
Soleil et beau, parcours dans la foret long et pénible à la fin 
4 personnes croisées ans la journée, deux hommes seuls et un couple
Lacs : innombrables
Cloud berry (baie arctique) : un petit bol







Sur une variante du chemin principal, Vistas est un petit fjällstuga dans la forêt au bord d'un torrent tenu par Ola un jeune gars, grand blond avec des dreadlocks en chignon. Il est seul ici trois mois dans l'été, un contemplatif qui a besoin de parler, ce qui n'est pas mon cas après 7h de marche. 

dans la cuisine de la fjällstuga
La stuga de Vistas est en bois, magnifique, une des premières d'origine, construite dans les années 60. Super bien pensée, 2 bat-flanc de 5 lits superposés, sur les cotés d'une cuisine en bois doré, poli et doux. Ici, pas de show room Ikea, le poêle a été changé, il a bien 20 ans. 

Le bastu ici est sans horaires : chacun s'organise pour y aller à tour de rôle, on se cale avec nos voisins et pour le première fois on y va tous les 4 en même temps. Le grand gars y va avec le couple de filles de nos voisines, à poil bien sûr y compris pour courir jusqu'au torrent.

Les toilettes sèches sont les mieux du parcours, sans odeur ou presque, on peut y aller  avec son livre. Pas besoin de "mettre ses chaussettes sales devant son nez pour se rassurer" selon la méthode proposée par mon iAdo pour contrer les effluves des précédentes. 
C'est un coin à élans nous dit le gars. Les nuits sont fraiches, le bruit du torrent nous berce, la stuga est dans un cocon entouré de montagnes, de glaciers et de cascades.


reste d'une hutte Sami

dimanche 21 août 2022

Zone arctique #2 : d'Abisko à Abiskojaure, dans le fjällstuga

Abiskojaure

4h05 de marche
14 ou 15km selon les panneaux auxquels on se fie
3 tas de crottes d'élans
2 lemmings
Aucune grosse bête
3 sortes de paysages selon mon iAdo  : le long de la rivière, forêts d'automne et grandes prairies
3 ponts suspendus, qui bougent dans le vent
2 Samis sur des quads six roues
1 ampoule au pied droit.
Bastu puis lac. 

Je savais que le sauna allait le faire, le lac pas sûr. 
Et au final si. Ça va carrément bien ensemble : sauna +lac.

Le fjällstuga est un concept de refuge qu'on ne connait pas en France. Ce sont des dortoirs avec des boxs de 4 personnes - on a donc notre box à nous  - et la cuisine partagée, le modèle campagne de chez Ikea. Equipée de tout pour cuisiner, sauf eau courante. 
L'eau se gère avec des seaux, en métal, comme ceux pour traire les vaches, quand la traite se faisait encore à la main. Les seaux avec les étiquettes claires sur le plan de travail pour l'eau fraiche à aller chercher au lac. Les seaux avec les étiquettes rouges sous le plan de travail pour les eaux usées qu'on collecte et qu'on ne jette pas n'importe où. 
Il y a un mot pour ça : slask. C'est le réservoir où se vident les seaux des eaux usées. Visiblement, elles sont filtrées avant d'être dispersées.

L'habitude se prend vite, l'eau fraiche, l'eau usée, les allers retours entre le lac et le slask, faire chauffer l'eau pour le thé, la soupe et la vaisselle. J'ai l'impression de revenir gamine quand on allait en vacances dans la maison à la montagne  -  avant que ça ne devienne la résidence principale de mes parents - et qu'il n'avait pas l'eau chaude, ni salles de bains, ni toilettes. 

Voyager léger est devenu possible entre la cuisine équipée et les couvertures dans les dortoirs.

Les randonneurs ont à peine des gourdes, ils sont plutôt équipés de timbales en émail qu'ils remplissent dans le ruisseau, le lac... bref l'eau au bord du chemin - et la boivent directement. Là, où nous en bons alpins attentifs avons une outre de 3 litres dument remplie au robinet (!) et même un système pour filtrer l'eau...qui ne nous servira pas.

A la stajonfjäll, des gens attendent, d'autres arrivent avec des sacs à dos, achètent des noix et repartent. C'est troublant cette génération spontanée de promeneurs et leur disparition tout aussi immédiate. Vers où? 
Nous sommes au milieu de nulle part.

le pont suspendu d'Abiskojaure

Zone arctique #1 : l'eau


Arctique.
Il me faut réfléchir pour écrire ce mot. Lu, mais peu écrit. Il y a un "c" à placer, la tentation est de le mettre vers le "q" alors qu'il est à côté du "t", pour un "arc".

Ciel bas, temps gris, lac sombre, la neige n'est pas loin et les températures frôlent le ciel. L'accueil est tout le contraire : chaleureux et joyeux, le refuge (fällstajon) clair et accueillant, fonctionnel et design à l'image des magasins Ikea.

Le déjeuner buffet est bienvenu après avoir sauté deux repas dans le train de nuit (façon de parler "la nuit"). Puis sieste, la nuit dans le train a été éclairée en plus du tangage et du roulis qui font tourner la tête au petit matin. 
Manger, dormir, le reste on verra après. 

Un mot doux dans ce pays, que j'ai appris à chérir : bastu.

le bastu d'Abiskojaure
C'est le sauna. Il y en a partout, ça va avec les équipements de base comme le réchaud et les toilettes (sèches). Ça passe avant l'eau courante et l'électricité. Le refuge arctique a le sien. Un pour les hommes, un pour les femmes et en soirée celui des hommes est mixte.

Dans le bastu on est nu ou en maillot, chacun fait comme il veut. Et s'il y a un lac ou un torrent, il convient de se tremper dans l'eau froide ensuite, puis de revenir au bastu pour se laver (dans la bassine, je rappelle  : pas d'eau courante) et ensuite de se poser sur le banc à l'extérieur du bastu pour profiter (de la vue, de l'instant, des effets). 


Le bastu ne semble pas réservé à l'été, nous avons croisé un bastu monté sur des skis qui semble attendre l'hiver et une destination insolite.

Manger, dormir, bastu. Ou Manger bastu, dormir, c'est selon. 

Chaque point d'eau - et ils sont nombreux entre les archipels, les lacs, les torrents - a son ponton, agrémenté de deux fauteuils (modèle Adirondacks ou équivalents) une table souvent. Le verre de vin n'est pas loin. Pas pour admirer le coucher du soleil, en été ça n'existe pas, juste pour regarder l'étendue d'eau, le temps qui passe et le temps qu'il fait, le jour qui dure, la nuit boréale.

Et avec le point d'eau, le bateau. Les Suédois n'ont pas nécessairement une voiture - un vélo plutôt - mais ils ont un bateau. Pas un gros truc qui en jette plein la vue comme dans le port de Nice, un petit bateau qui se gare/s'amarre facilement dans les bras de mer de la baie de Stockholm, dans le lac à Abisko, où sur tout ce qui se rapproche d'un bord de lac. 
Des petits bateaux où on s'installe à deux pour boire un verre (encore, on les a vus), jouer au carte, voire deux minuscules couchettes dans la coque pour aller d'île en île.

A fin juillet, la végétation a la vitalité du printemps sous nos latitudes, fleurs de toutes les couleurs et vert tendre. Et les promeneurs portent des bonnets. 
Demain nous attaquons le Kungsleden - la voie du Roi - pour 4 jours de marche, de fjällstuga en fjällstuga, en zone arctique, sans nuit, sans eau courante, sans électricité, mais avec bastu.