vendredi 15 décembre 2017

Et l'homme créa Dieu

Le bouddha d'azur de Cosey

"Dieu est un mot qui, selon moi, est vide. Je pense qu'il y a un grand mystère dans l'univers, je n'ai pas le mot pour le dire, et que cela dépasse notre capacité mentale. 
J'ai la conviction que c'est l'homme qui crée Dieu ou des dieux, et pas l'inverse. les dieux sont issus de l'esprit d'une communauté humaine, mais une fois qu'ils existent et c'est là le paradoxe, ils nous dominent, nous demandent de les prier, de le supplier, de tuer ou de mourir pour eux. Ce qui est vrai aussi pour les idéologies quasi religieuses qu'ont été par exemple le communisme, ou le nazisme".
Edgar Morin - dans un interview pour Lire (novembre 2017).

Il n'y a que lui pour mettre sur un même plan Dieu, le communisme et le nazisme, trois choses antinomiques. Quand on sait que Edgar Morin a pensé la complexité comme la coexistence de deux réalités contraires, on s'étonne moins.
Il se veut bouddhiste, sans la métampsychose (la réincarnation des bouddhistes : c'est à dire le transfert de l'âme dans un autre corps humain - pas un animal comme dans l'hindouisme). 
Moi aussi j'aime le bouddhiste, mais c'est parce que je lis les bd de Cosey et j'aime assez l'idée de bodhisattva ("mon âme en toi réincarnée" -  pauvres de vous!). 
On parle là de spiritualité et non de religion. La différence est de taille. Il n'y a pas de système ni d'autorité qui te dit quoi penser, comment penser, comment expier et t'offre un idéal gagnant : que ce soit les 70 vierges ou le Paradis (resterait à définir ce dernier d'ailleurs).
Le rapport est symétrique, le lien est horizontal, il s'entretient et se discute. Chacun en est responsable.

Une réflexion pour toutes nos relations, pas uniquement celles qu'on entretien avec (son) dieu.
Bon week


samedi 9 décembre 2017

Petit plaisir dans le froid et sous la pluie

sur le toit de ma maison - décembre 2017

Je n'aime pas cette période de l'année, il faut nuit quand on sort de la maison à 8h et même en rentrant tôt on est dans le noir. C'est un mois où on devrait rester sur son canapé, sous un plaid, à boire du thé et lire des romans (peut-être qu'alors j'arriverai à lire tous les bouquins que j'ai achetés et que je n'ai pas encore lus).
Vendredi soir, fêtes des lumières à Lyon, mais grand froid à Paris. 
Il neige, il pleut, il gèle. je suis sur mon scooter pour tourner boulevard Raspail. J'ai les pieds gelés, je n'y vois rien, les gouttes de pluie diffractent la lumière et m'éblouissent. La circulation est congestionnée et fébrile à la fois. j'en ai marre, je rêve de mon plaid, de ma cheminée et d'un thé bouillant.
Je suis arrêtée au feu, impatiente, intolérante, frigorifiée avec une irrestitible envie de le griller (ce qui est totalement infaisable).
Une grosse moto arrive, s'arrête à côté. Une de ces motos qui ressemble à un canapé, et que conduisent de vieux gars qui ont besoin confort. Ces motos comme des berlines, qu'on a envie d'appeler Madame, qui ronronnent et qui chantonnent.
Et celle la ronronnait avec la musique.
Et soudain j'ai entendu

"It's gonna take a lot to take me away from you
There's nothing that a hundred men or more could ever do
I bless the rains down in Africa aaaaaa
Gonna take some time to do the things we never had"


Un vieux tube de Toto. 
Oh boy! J'ai chanté, j'ai souri au (vieux) gars à la grosse bécane.
Le temps du rouge au vert, j'ai oublié que j'avais froid.
J'ai oublié que j'en avais marre.
J'ai oublié qu'on était en hiver.
Bonheur, il a pris le début du boulevard Raspail avec moi. 
J'étais contente qu'il y ait encore un feu un peu plus loin et celui d'après. Il a tourné un peu avant le boulevard Montparnasse. J'ai hésité à le suivre pour avoir la fin de la chanson. Mais le feu au bout de sa rue était vert, il ne s'arrêterait pas. 
J'ai poursuivi Raspail.
Je chantonnais.
Et aujourd'hui, je me refais les oldies goodies : greatest hits of Toto!

dimanche 3 décembre 2017

Cher Professeur d'Histoire



Cher Professeur d'Histoire de 3ème,

Vos élèves vous vénèrent.
Vous les captivez avec votre façon d'aborder l'Histoire, la Grande, la Petite, celle des gens qui l'ont vécue. Vous la rendez vivante en leur donnant des livres à lire, des images pour prouver, des films pour se rendre compte, des documentaires pour comprendre...
Vous les nourrissez abondamment, et ma fille absorbe. 
C'est une éponge. Elle écoute chaque mot que vous dites, chaque idée que vous formulez. En plus, vous êtes jeune, et pour peu que vous soyez beau gosse, votre impact sur ces jeunes filles n'en est que plus important.

Monsieur le Professeur, je vais vous raconter la soirée de mardi, chez nous.
Mardi après-midi, vous avez comme tous les mardis votre classe de 3ème. Vous finissez la période de la seconde guerre mondiale : vous leur avez déjà parlé de la déportation, des camps de concentration, de Staline et de son régime totalitaire, de l'endoctrinement des Hitler Jugend ... 
Savez-vous qu'elle a lu tout ce que vous avez évoqué? Et regardé tout ce que vous avez conseillé? 
Ces derniers temps nous baignons dans une ambiance de régime totalitaire, d'endoctrinement, de mise à mort collective,  sans compter ce que conseille votre collègue professeur en français.
Et ce jour là, vous abordez le procès de Nuremberg et vous décidez de montrer en classe des images qui ont servi pour les inculpés. 
Des images insoutenables, des images pour faire réagir les tortionnaires, pour les mettre en face de leurs crimes.

Monsieur le Professeur, vous avez en face vous des jeunes de 14 ans. 
Vous les avez prevenus que ce qu'ils allaient voir était des images difficiles, mais que se sont ils imaginés?  Ont-ils eu le choix de pouvoir sortir de la salle? De dire "c'est intolérable arrêtez!" ? De ne pas regarder?
Comment avez-vous fait votre introduction ? Quels échappatoires ont-ils eu?
Comment en avez-vous parlé ensuite?
La mienne, curieuse et concernée, a décidé de regarder jusqu'au bout, sans distance, avec compassion, en s'immergeant, en se concentrant...
Ma fille, qui est emphatique est sortie du collège dans un état second. Elle m'a appelée, chose qu'elle ne fait jamais, et quand j'ai décroché, en pleine réunion, elle a éclaté en sanglot. 
Sa compassion débordait : "j'ai vu des chose horribles, j'ai vu des gens morts de faim, abandonnés sur le trottoir du ghetto, j'ai vu des corps qu'on déchargeait, j'ai vu... comment on a pu faire ça?".
J'ai écouté, j'ai expliqué pourquoi vous aviez montré cela, à quoi cela servait de se rendre compte.

Je vous en ai voulu. 
Je vous en ai voulu de ne pas vous rendre compte de l'impact. 
Je vous en ai voulu de la violence que vous infligiez à ma fille.
Je vous en ai voulu de ne pas avoir pris plus de précautions.
Je vous en ai voulu de les avoir laissés quitter votre cours sans en parler collectivement.

Notre soirée a été consacrée au sujet.
Elle a beaucoup pleuré de douleur et de mal être pour ces gens qui sont morts, qui ont tout perdu jusqu'à leur Humanité. Elle a du décrire les images qu'elle avait vues pour se les sortir de la tête. 
Nous en avons parlé jusqu'à une heure avancée. De cela je ne vous en ai pas voulu.

Monsieur le Professeur, je les ai regardé, moi, ensuite ces images. 
Elles donnent la nausée, elles troublent, elles sont indicibles et intolérables, mêmes pour des adultes avertis.
Vous avez raison de les leur montrer. faites le juste avec plus de mots, avant et après.
Pour que ce ne soit pas une agression, pour qu'ils le digèrent, pour qu'ils s'indignent.
Pour que ce soit une leçon.
Pour nous tous, pour les générations de demain.

Vous avez ensuite attaqué la Résistance, et j'appréhende un peu ce que vous allez encore leur demander de regarder et de comprendre...
Même moi, j'ai du mal avec le Programme de 3ème.

Monsieur Le Professeur, je vous souhaite néanmoins une bonne soirée, il me semble que vous abordez de front des sujets graves, je voudrai juste un peu plus de douceur dans ce monde de brutes.

bien à vous,











samedi 2 décembre 2017

Embarquer avec élégance et dignité

Promenade des anglais - juste après le Bandol
Je prends l'avion régulièrement par aller à Nice. Je ne m'endors pas à chaque vol avec mon genou contre celui de Raymond, mais j'ai à chaque fois l'impression d'arriver en vacances quand j'atterris et de quitter une sorte parenthèse lumineuse quand j'en repars. Ce sont des missions professionnelles, je tiens à le préciser.

Hier, au passage des contrôles devant moi, deux maitresses femmes. Une grande black, longues jambes dans un pantalon en cuir, perchée sur des plateformes noires, gainées en dessous du genou. Des talons qu'une règle d'écolier aurait du mal à prendre la mesure. Une femme qui approche la cinquantaine, qui s'entretient, se sape pour aller bosser, ne sourit pas parce que ça creuse les rides. Tu n'as ni envie de lui sourire, ni envie de plaisanter. 
Derrière elle, son opposée. Une petite blonde décolorée, qui lutte contre les rondeurs de la ménopause avec moins de succès (ou plus de volupté), moulée dans une robe de style Chanel, parfaitement maquillée, le sac à main assorti aux chaussures. Les chaussures : leur seul point commun. Talons démesurément hauts. Je me suis perdue dans la contemplation de leurs talons en faisant la queue avant les contrôles.
Comme j'avais bu du vin à midi (mes clients niçoises sont des bonnes vivantes: déjeuner en terrasse au soleil et vin de Bandol), j'ai même essayé de marcher comme elles. J'ai eu le vertige, j'ai vite arrêté.
J'ai eu mes quelques minutes d'envie, vous savez ces moments où on contemple ce qu'on n'atteindra jamais : the perfect make-up, the perfect match dress, et les talons... . 
Je me suis vue avec mon jean, mon (éternel comme dit mon iFille) pull noir , mes bottines à plat (oui des Pete Soresen, mais à plat, pas une centimètre de surplomb), rien sur la figure, et mon indéfectible brushing naturel que même le mistral ne parvient pas à foutre en l'air.
Le vin blanc faisant son office, je me suis sentie petite et désordre....
.... jusqu'au passage des rayons X. 

Là, le monsieur qui contrôle les papiers, vous fait ranger votre portable dans un bac et votre manteau dans l'autre, vous fait sortir votre tube de dentifrice du sac, vous dit "enlevez votre bonnet pour passer le portique " (oui j'ai un bonnet, on est en hiver, j'ai froid), vous demande trois fois de suite si vous n'avez pas de liquide dans votre sac (oups, il me reste de l'eau alors que j'ai dit trois fois non!), a fait enlever aux deux maitresses femmes devant moi leurs si belles montures...
Fini la vue en plongée, fini la prise de hauteur, revenues sur terre en chaussettes dans le hall. 
Celle qui a l'habitude s'est assise pour enfiler les jolis sacs plastiques bleu censés protéger les chaussettes, la blondinette dans ses collants tout fins ne les a pas trouvés.
Soudain prise d'un accès de gentillesse (l'autre effet du Bandol), je lui ai montré où étaient les magnifiques surchaussettes bleu électrique, d'un geste naturel, sans enlever mes écouteurs (The National, à fond). Comme si moi aussi j'avais l'habitude d'enlever les hautes talons au passage des contrôles.
Et l'une après l'autre, elles sont passées, pieds bleus, rase moquettes couleur du ciel, bien modestes tout à coup. On se sent un peu plus vulnérable en chaussettes dans un lieu publique.

J'ai gagné en superbe ce qu'elles ont perdu en talons. Fièrement, d'un pas décidé et conquérant, j'ai fait claquer mon talon à plat pour passer le portique sans sonner (et sans mon bonnet).
J'ai récupéré mes affaires pendant qu'elles remettaient leurs chaussures si hautes. 
J'ai levé le menton, étiré ma colonne et suis partie sans les regarder, avec quelques centimètres de plus dans mon dos.

Ah ce vin de Bandol à midi!