dimanche 15 août 2021

Helléniques portraits élogieux # sur la route


Figurine votive, époque Mycéene (1500 BC)

A un moment, sur une île nous avons loué une voiture. Nous avons loué la veille de notre arrivée, en recherchant de façon systématique parmi tous les loueurs possibles, même les plus obscurs jusque dans les tréfonds du web, autre chose qu’un scooter ou un quad. Un véhicule susceptible de nous contenir à cinq. On a réduit toutes nos exigences quelles soient de couleur, de motorisation, de marque, de prix, si jamais on en avait eu, on n’en avait plus.

L’iMari a fini par louer un véhicule. Et quel véhicule !

Rien que la tête de nos iAdos quand ils ont vu l’engin valait tout le temps passé sur le web pour le dénicher. Je les avais un peu appâtés en disant que c’était un 4x4. Ce n’était pas un mensonge, c’est juste une vérité très limitée pour décrire le véhicule.

C’était une petite boite à savon, noire, cubique, plus petite que la Fiat Panda 4x4 que j’ai eu dans ma jeunesse. Deux portes, 2 sièges à l’arrière pour trois iAdos, dont un de plus de 1m80, un coffre minuscule contenant 2 valises, soit exactement moins de la moitié de nos bagages. 

En voiture Simone, fut un grand moment ! Où je crois que j’étais la seule à rire.

La boîte à savon nous a mené à bon port partout, fenêtres ouvertes car je ne suis pas certaine du bouton « clim » que nous n’avons d’ailleurs pas enclenché. La boite à savon est passée dans un chemin muletier si étroit que s’il y avait eu trois sièges à l’arrière nous serions restés coincés entre les deux murs de pierres. 

Elle a grimpé des chemins si raides pour aller au site archéologique de Minoa que sans son quatre roues motrices nous aurions du atteindre à pied (en plein soleil sous 40°C). 

La boite à savon nous a promené sur toutes les routes de l’île du Nord au Sud et retour, des crêtes des montagnes au chemin de plages. 

Et elle nous a protégé des chèvres.

 

Le loueur -  business familial Mama derrière le comptoir (pour y faire quoi, Dieu seul le sait), fiston à la relation clientèle, l’oncle à la mécanique (il va chercher le véhicule là où il est garé) nous avait fait la visite guidée de l’ile à partir de la carte en entourant savamment les lieux à visiter, en y ajoutant des noms de restau en grec et des kilomètres indicatifs entre deux destinations. 

Et surtout à un moment il avait dessiné une flèche en nous regardant dans les yeux d’un ton profond et sérieux « on this road, beware of goats ».

 

Mon iMari qui parle un anglais parfait quasi oxfordien n’a évidemment pas compris, alors que moi avec mon anglais de sabir (du moins ma prononciation) j’ai tout de suite saisi le danger. 

J’ai vu les chèvres embusquées sur le bord de la route, cachées derrière des talus, tapies dans les buissons, prêtes à se jeter sur notre capot lors de notre passage. J’ai vu les attaques, les détours à faire pour éviter les embuscades, j’ai vu les zigs-zags comme dans les auto-tamponneuses des foires de mon enfance. Ah ! ici les chèvres sont joueuses. Nous y ferons attention.

D’autres que nous ont été moins attentifs ou n’ont pas compris le « beware of goats », qu’à l’oreille il est aisé de confondre avec ghosts, gods, boats. Au menu de certains restaurants il y avait « goat in lemon sauce ». Nul doute que les chèvres en embuscade avaient gagné sur les boites à savon motorisées.

 

Sur la route, il y aussi des ânes seuls avec leur corde au cou, trainant leur piquet derrière eux. Ils nous font un remake de la Chèvre de Monsieur Seguin. Il y a des motos et des scooters, mais peu de casques. Il y a des touristes à pied, des crottins et des chèvres, peu d’entre elles en embuscade, je dois le reconnaitre. Au mieux campée à l’ombre d’un rocher, au pire au milieu de la route, immobile, ne montrant que peu d’enclin à sauter sur le capot de quelque engin que ce soit. Fut-il aussi attrayant que le nôtre.

samedi 14 août 2021

Helleniques portraits élogieux # à la plage

Magne - Kotronas


Elle est à moins de trois cents mètres de la maison. Il faut longer le figuier, se coincer dans l’ombre du mur, parcourir les quelques mètres en plein soleil, traverser la grande route avant d’atteindre la pinède. Une vraie pinède avec des pins qui s’évasent en haut comme des parasols, le sol couvert d’aiguilles rousses en tapis, l’odeur sèche des résineux. Elle descend en pente douce jusqu’à un semblant d’escalier qui mène à une étroite plage de sable et cailloux. C’est plus une bande étroite entre une falaise et la mer qu’une plage, dans une anse marquée d’un côté par une chapelle blanche aux bords bleu et de l’autre par un moulin qui aurait perdu une partie de ses ailes. L’eau y est bonne, on y entre sans hésitation, le fond est clair, le port est au loin on voit le défilé des bateaux qui débarquent leurs lots de fumeurs, d’instagrameurs et de canaris.

C’est une plage qui a son quota de pneus. Le plus choquant c’est que ça ne nous choque plus. 

Il y a un dans la pinède, pas loin de la poubelle, juste avant l’escalier et un autre dans un coin de la plage. Il y a aussi son lot de bouteilles de bières, vide ou à moitié. Pas des canettes, les bouteilles en verre, la Lager locale, par litre. Ici, on ne va pas à la plage sans son pneu ou sans sa bière

La proximité du port signifie aussi la proximité d’objets flottants plus ou moins identifiés, en plastique principalement. Entendons-nous bien, c’est une belle plage, tranquille, avec peu de monde et une jolie vue. Quand on y regarde de près, on constate la présence humaine par les résidus laissés derrière. En remontant, je regarde plus attentivement le sol de la pinède, je ne serai pas surprise d’y trouver des seringues. Je n’y vois que des préservatifs usagés. C’est un bon endroit de drague, on y vient avec sa bière, son préservatif et parfois son pneu. On laisse tout sur place ensuite. Tout cela est très romantique.

Celle près de la maison est pratique, on y va comme on va à la douche, juste pour se tremper (entre deux pneus). 

On visite d’autres plages sur cette ile paradisiaque, d’autres plages entre deux villages aux maisons blanches lignes bleues et fleurs rose pétant. 

L’eau y est toujours bonne, toujours claire, le sable plus ou moins fin, les cailloux plus ou moins pointus sous les pieds. Je m’y trempe, fais quelques brasses, me laisse flotter. Le soleil tape derrière mes paupières, les sons sont des clapotis d’eau et de secrets murmurés dans les profondeurs, bercée par les remous je m’abandonne au concept de vacances. Mer, soleil et plage. Je m’ennuie en moins de temps qu’il faut pour cligner des yeux s’ils n’étaient pas déjà fermés. 

Je réfléchis au concept de vacances en faisant l’étoile de mer. 

Et rapidement je pense à autre chose, je pense à La leçon de piano quand elle plonge avec son piano, à ce film avec Shailene Woodley (A la dérive), à La vie aquatique, au film sur le Commandant Cousteau L’odyssée, quand j’arrive à Titanic je frissonne, puis évidemment au Grand Bleu, c’est en général le moment où je commence à stresser à l’idée des profondeurs et de ce qu’elles contiennent. Je lutte un peu contre mon angoisse, me laisse surprendre par une mini vague qui me submerge le nez, bois vaguement la tasse, et je me redresse, légèrement désorientée. Je suis du signe du cancer, pourtant pas une créature d’eau. Je déteste ne pas savoir ce qui se passe sous mes pieds.

La plage est un lieu d’observation. Peu de gens se baignent en fait. Ils passent plus de temps à s’installer, à se crémer, à étaler la serviette, trouver la bonne orientation, en changer, pile puis face. Peu de gens lisent, ni sur leurs écrans. Ils ne font rien, reposant sous le soleil, souvent sans se couvrir la tête. Ce doit être l’équivalent de ce que je fais dans l’eau avec mon étoile de mer. Ils réfléchissent au concept de vacances, et font défiler des images de plage, ou de sable ou de travaux ou de rien, d’aileurs.

vendredi 13 août 2021

Helléniques portraits élogieux - #Sur le bateau

Paros - Cyclades

Cyclades riment avec vacances idéales, le soleil, la mer, les maisons blanches et bleues. 
Pas exactement pour moi.
C’est un concept de vacances qui au mieux m’ennuie, au pire m’agace. J’y apprécie la chaleur et son odeur, la sueur qui dégouline le long du dos, les cailloux millénaires, sculptés qui parlent d’autres mondes avant nous, les fesses des statues qui ne demandent qu’à être caressées (et qu’on ne peut pas toucher), la feta partout, l’eau fraiche dans la gorge, le bruit du ventilateur la nuit plafond. 
Et c’est tout.
 




#Sur le bateau

Le départ du Pyrée a quelque chose de très typiquement portuaire et méditerranéen. La gare de train est le témoin d’une gloire industrielle passée : belle hauteur sous plafond, fer riveté, propre et calme. On pourrait s’imaginer à la descente d’un arrêt de l’Orient Express au début du siècle dernier. Dès qu’on est sorti de cet espace protégé, c’est la plongée dans le chaos, la chaleur, la crasse, le bruit, les trottoirs (s’ils existent) défoncés, du monde partout. On s’attend à être bousculé, piétiné, chaque café ressemble un bouge où prendre un verre est un acte d’une incroyable témérité. Traverser la rue pour rejoindre le quai est une revisite du déparquement, les feux tricolores changent de couleur sans incidence, aucune, sur le flot des voitures, ou des passants. 

Il est un peu avant 17h, la chaleur bat son plein, la file d’attente pour embarquer est le long du quai, en plein soleil, pas un brin d’ombre ni d’air. La longue file de gens avec leurs bagages, chapeaux, parasols et canaris en cage contemple les immeubles miteux qui leur font face, vantant des « greats rooms vith AC » des façades grises couvertes de poussières et de fenêtres aux rideaux qui furent un jour certainement blanc immaculé, et qui sont désormais aussi gris que les murs, offrant ainsi de jolies nuances de gris (peut-être cinquante) sur plusieurs étages. J’imagine aisément derrière, des prostituées et des marins tatoués, saouls et romantiques. J’ai du lire trop de romans. 
Mais je n’ai aucune envie de m’éterniser dans ce coin, fut-ce même pour vérifier les clichés sociologiques des ports. Le guide déconseille d’ailleurs de loger là, « quartier mal famé ». 
Cliché vérifié.

Un gars arborant fièrement le T-Shirt de la compagnie maritime (Blue Sky ferries, au cas où on aurait un doute sur la couleur du ciel dans les Cyclades) remonte la file de vacanciers-en-devenir avec leurs parasols et leurs canaris en hurlant un truc en grec, que même les grecs lui demandent de répéter. Une partie de la file se détache et forme une deuxième file. Impossible de comprendre le dénominateur commun des gens qui forment cette deuxième file : ils ont moins de parasols et de canaris, mais je doute que le gars au T-shirt Blue Sky Ferries hurle « ceux qui n’ont ni parasol ni canari, file de gauche ! ». On constate au final que les deux files se rejoignent et montent indifféremment dans le bateau. Un critère aléatoire pour dédoubler la queue, c’est créatif, et puis, essayer de comprendre le critère de sélection nous a occupé le temps de la queue. Sans jamais y arriver. Et sans utilité aucune, au final.
Le voyage sur le pont du bateau – cinq heures en tout -  est un voyage en soi. J’avais vu les canaris dans la file d’attente, pas les chiens. Sur le pont du bateau je les ai entendus.
5h dans les plaintes d’un animal de la taille inversement proportionnelle à sa maitresse. Le panier du chien était de la taille d’une cage de canari, c’est dire la taille de la maitresse. Les jappements stridents du cabot nain qui ont stoppé quand il a été sorti de sa boite, qu’il a pu boire et être caressé. Qu’est-ce qui lui a pris si longtemps pour le faire ?

5h dans les fumées de cigarettes des uns et des autres : des deux vieux à côté de nous, le plus âgé des deux marchait à peine, toussait entre deux cigarettes, et soignait certainement son cancer du poumon en espaçant de 60 secondes chacune de ses cigarettes. Celles de tous les gens qui venaient fumer sur le pont, les jeunes hommes pour se donner des airs viriles, les jeunes femmes pour se montrer branchées, les accros qui venaient toutes les 15 minutes, j’ai eu un panorama complet des fumeurs du pont 3.

5h avec des gens qui offrent leurs chants à qui n’en veut pas. Une petite guitare, des paroles en grec, des refrains pénibles. Comment dire à ces jeunes que chanter sur le pont d’un bateau n’a rien de cool et de romantique ? Que cela n’a pas attiré d’autres jeunes pour se sentir appartenir à une communauté ? Pourquoi croire que ce qu’on offre doit être bien accueilli ?

Je n’ai jamais vu autant de T-shirt à messages. C’est plutôt les hommes d’ailleurs qui arborent fièrement sur plus ou moins d’abdos des messages plus ou moins énigmatiques. Il y a ceux qui s’annoncent « prêt » (born ready) Prêt à quoi ? A une cigarette sur le pont ? Une photo Insta ? Une chanson en grec ?. Il y a ceux qui se déclarent « unique » : limited edition, 1/1. Ces T-shirt existe en français et en anglais. Le point commun entre ces deux porteurs de message est qu’ils étaient primo arrivants en Grèce : encore tout blanc.  Il y a les messages codés (non décodés à ce jour) : a girl is a gun. Je n’arrive pas à savoir si c’est sexiste, féministe, drôle, aucun de tout ça. Déjà on parle de fille, pas de femme, ensuite un pistolet pour moi est un objet (pas un sujet) et une arme : donc dangereuse. La théorie de mon iAdoe est que c’est un appât : les filles lui demandent ce que ça veut dire et hop il rentre en contact. Il y a aussi ce couple à messages, lui : « we can be a heroe just for one day » et elle : « love yourself ». Je leur aurais bien suggéré d’échanger leur T-shirt.
Si les femmes mettent peu de T-shirt  à message c’est surtout parce qu’elles mettent peu de T-shirt. Elles ont des mini crop top, voire juste des hauts de maillots de bains. Je n’ai jamais vu autant de corps dénudés en même temps, ailleurs qu’à la plage. Sur ces hauts-là, pas moyen d’y mettre un message, aussi court soit-il.

A l’heure du coucher de soleil, le défilé des personnes a connu un regain de variété, plus divers que les fumeurs, les chanteurs et les propriétaires de chiens. J’ai vu les Instagrameurs. Si on faisait des statistiques on verrait à l’heure du coucher de soleil un pic de posts sur Insta : le même cliché, la mer en sombre, le ciel en fond, un dégradé d’orange, le cliché des vacances paradisiaques. Je ne crois pas à la beauté photographique des couchers de soleil (encore moins sur Instagram), je crois qu’un coucher de soleil ça se vit. Ca se regarde seconde après seconde, sans rien faire d’autre, sans se rendre compte du temps qui passe et d’un coup on ne le voit plus sans qu’on ait compris comment. 
J’aime en particulier les couchers de soleil proches de l’équateur, quand le soleil ne se couche pas à l’horizon, mais au milieu de ciel. Cette magie-là me plait.