dimanche 23 mai 2021

Ca bouge, désormais c'est là-bas


Ici reste les histoires de famille, le récit des vacances, la petite vie de tous les jours, celle qui se vit, sans militantisme, sans crier, sans s'indigner. celle qui raconte les joies et les peines (parfois). Celle qui est moins politique, même si en fait tout est politique.

Aujourd’hui, les choses se passeront aussi ici Saute d’humeur et d’égalité.



L’aventure du blog avait commencé il y a plus de dix ans maintenant, quand nous étions en expatriation.
L’expatriation s’est terminée, pas l’écriture. 
Le blog est resté, il a évolué dans sa forme, dans son rythme, dans ses sujets. Les thèmes sont restés les mêmes, ils se sont juste densifiés, détourés, précisés à en devenir un décodeur au prisme du genre : « un truc féministe quoi ! ». Je décode ce qui m’entoure et ce qui me touche. C’est ma contribution à l’utopie de vivre semblable dans un même monde, de rechercher une parité de participation dans le monde que nous partageons.


samedi 8 mai 2021

Moisson d'avril

Ma balade de midi

Les lectures d'avril étaient comme la météo, variées, diverses, des grands hauts, un bien bas, du très décalé et du plus classique. Toutes parlent de notre monde, celui dans lequel on vit avec toutes ses nuances, et notre façon unique de l'aborder : en se prenant pour un cosmonaute, en étant saoul, sans attache ou en cherchant d'autres, en secret comme une agente ...

Love me tender  -  Constance Debré. Cette femme est une énigme qui me fascine. Elle est issue de la famille du même nom dont on a tous entendu parler parce que personnalités publiques, politiques, avocats journalistes, ou artiste (le musée de Tours Olivier Debré : fabuleux). Elle se métamorphose depuis plusieurs années maintenant ; l'avocate parisienne prometteuse mariée et mère de famille s'est dépossédée de tout : biens matériels, carrière, couple, et dans ce dernier livre y compris du lien avec son fils, le maintien de ce lien qui devenait un combat. Elle s'est réduite à sa vie intellectuelle (et sexuelle), grande maigre, elle n'est pas intéressée par manger, par posséder ni les choses ni les gens, sa vie se résume à penser, écrire (et baiser, voire aimer parfois). L'écriture est aussi ascétique que sa vie.


Les impatientes Djaïli Amadou Amal. C'est le prix Goncourt des Lycéens, mais qu'est-ce que je me suis ennuyée! Ce n'est pas le sujet, qui devrait m'emballer - la liberté des femmes en Afrique, -  mais son traitement, pas la hauteur, ou l'écriture trop linéaire été prévisible? Ce livre et moi, nous nous sommes loupés. 





L'étrange vallée  -  Anna Wiener. C'est ce que les Américains appellent "non fiction", en France rangé parmi les romans, car ce n'est pas une autobiographie. C'est un sujet (la culture tech des entreprises de la Silicone Valley) raconté du point d'une personne. Elle le vit à la première personne dans la dernière décennie, bien avant la pandémie. C'est glaçant de cynisme, non pas ses propos mais la culture de ces entreprises, où on pense faire le bien, on croit faire le bien et qu'on ne se pose pas beaucoup de questions car finalement on est bien payé et on vit confortablement. Un effet un peu dissonant quand elle raconte une époque avant la pandémie, mais qui semble très réel aujourd'hui avec la notion de distance, de télétravail et de lien délité. A lire absolument.


The SCUM Manifesto -Valérie Solanas. SCUM  : society for cutting up men. Et ce n'est pas une blague. On a beaucoup écrit sur ce livre écrit en 1967, par celle connue pour avoir tiré au revolver sur Andy Wahrhol. On a beaucoup parlé de cette femme, plus que de son livre parce qu'elle a été incestée, prostituée, SDF, artiste, mentalement dérangée... autant d'attributs qui visent à décrédibiliser sa pensée ou à la réduire à un de ceux-là. Je crois surtout quel ce qu'on dit sur elle est pour éviter de voir et de reconnaître  que ce manifeste est sérieux et cdonc dérangeant. Une société  sans hommes. Il exprime la rage jusqu'au bout, renverse la table et ne cherche pas à se faire entendre ni à être poli. 




Les cosmonautes ne font que passer -  Elitza Gueorguieva. Ecrit à la deuxième personne du singulier, on est tout à  côté de la narratrice, on voit le monde par  ses yeux d'adolescente.  C'est la chute de l'empire soviétique et la fin de sa grandeur vue par une adolescente qui veut devenir Iouri Gargarine : elle vit si c'était  la conquête de l'espace. Que faire quand l'empire soviétique n'est plus le seul modèle à suivre et que les grands héros soviétiques sont déchus? Frais, léger, drôle, une autre façon (malicieuse) d'aborder la vie.





Sans alcool Claire Touzard. Je suis tombée dessus par hasard. Cette journalise raconte comment elle se rend compte de la place que tient l'alcool dans sa vie fait d'elle une alcoolique. Elle décide d'arrêter. Ce livre ne raconte pas les 12 étapes (ou je ne sais combien) des AA, mais le rapport qu'elle entretient à l'alcool, le rapport de notre société à l'alcool, ce qu'il nous fait oublier, ce à quoi il nous oblige et que devient une vie sans. J'avoue que pendant quelques temps, j'ai pris du jus de tomate à l'apéro!
La "famille" Shilpi Somaya Gowda. J'avais lu "un fils en or" de cette autrice indienne et j'avais adoré. Elle explore dans ce roman les liens à la famille : entre enfants et parents et comment ils se renouent ailleurs avec d'autres pas forcement bien intentionnées quand la famille vole en éclats. L'histoire se passe au Canada, on y parle de spiritualité, de culpabilité et d'allers et retours.







mercredi 5 mai 2021

D'autres s'y mettent et ça fait du bien

 

Sue Y. Nabi, CEO de Coty

Je compte, je l'ai dit. Et j'écoute et je lis d'autres qui comptent aussi, ce qui me fait me sentir moins dingue dans ma "frénésie du comptage" (je cite un ami). 

Et ces dernières semaines, d'autres plus exposés, plus lus, plus médiatiques, plus "main stream" s'y sont mis aussi. Chacun à sa manière. Je parle de M le magazine du Monde et du supplément Week-End des Echos. Pas des journaux qu'on peut soupçonner de féminisme intégriste. Du féminisme washing peut-être, alors considérons que c'est le prix à payer pour toucher avec un message tout simple la majorité des hommes blancs, qu'on imagine être le lectorat de ces deux journaux. Et que si un ré-équilibrage se fait c'est bon à prendre, peu importe si c'est aussi pour être dans l'air du temps.

Qu'ont-ils fait? Ils regardent la place qu'ils laissent aux femmes, ou autres, autres étant différents des hommes (je lis en ce moment  le 2ème sexe de Simone de Beauvoir, l'Autre sexe dans son texte est la femme, aujourd'hui on peut dire qu'Autre est ce qui n'est pas homme).

M le magazine du Monde a fêté ses 500 couvertures il y a quelques semaines. Ça a été l'occasion pour eux de compter (ah vraiment j'adore ce mot) et le compte n'y est pas. Ils l'ont dit : sur leur site, sur leur compte Instagram, ils en ont fait l'analyse dans des articles gentiment auto-justifiants, mais au moins ils se regardent faire, et dans la durée.

500 couvertures : 288 avec des hommes, 196 avec des femmes (et 16 avec des chaises, des tomates, des éponges...). 

58% des unes avec des bobines de gars, et moins de 40% avec des femmes. 

La directrice éditoriale (et oui!) se fend d'un article sur le sujet, s'en excuse et signifie qu'ils vont y porter attention. Ce bilan des portraits sur leur couverture a donné lieu à d'autres articles qui s'interrogent si les 54 mannequins (parmi ls 196 femmes) sont des vraies femmes (peut-on vraiment se poser ces questions?) ; qui s'évertuent à bien expliciter la diversité des femmes en Une :  des vielles, des jeunes, des noires et d'autres encore. C'est presque un modèle du genre cet article, un peu comme à l'Ecole des Fans (qui se rappelle encore de cette émission?). Un article qui veut surtout avoir l'air bien sur tout rapport.

Reconnaissons tout de même que depuis que la directrice éditoriale est une femme  - Marie-Pierre Lannelongue - un effort est fait sur les thèmes, et sur lui fait la Une. En 2020, la moitié des couvertures étaient tenues par des femmes. Il est vrai que depuis #metoo il devient difficile de faire autrement quand on se veut un journal qui traite "des sujets de société de son temps" (sic) : impossible avec une telle ligne éditoriale de faire l'impasse sur  la représentation des femmes dans les médias.  

M le magazine le Monde, dans la case des bons élèves.

L'autre surprise un peu différente nous vient de Les Echos week-end, le numéro du 25 février dernier. 

Sur 4 pages le portrait de la patronne de Coty (Groupe américain de produits de beauté, concurrent de L'Oréal). Son nom Sue Y. Nabi. Une photo d'elle pleine page, cette femme rayonne de simplicité et d'intelligence. Il faut attendre la deuxième colonne de l'article pour comprendre ce que veut dire "son  histoire plurielle". Et de poursuivre ma lecture, d'être perdue, pas sûre de suivre l'article. J'ai relu plusieurs fois les paragraphes pour voir ce que j'avais loupé. Rien, je n'avais rien loupé, et c'était dit sans être écrit. Ce que je ne vais pas savoir faire : le Y dans son nom est pour Youssef. Cette femme est une femme transgenre d'origine musulmane à la tête d'un groupe international de cosmétique.

J'adore. 

Et je salue la journaliste - Corine Scemama - qui a rédigé cet article sans mettre dans le titre ce qui était singulier et pas banal. La prouesse est que le mot transgenre ne figure à aucun moment dans l'article. 

Ce que je trouve remarquable n'est pas qu'elle soit transgenre (quoique, je serai curieuse de savoir comment elle mène tout de front : une  carrière, une transformation, une identité, une vie ...) c'est que finalement elle n'est pas réduite (essentialisée comme on dit aujourd'hui) à sa transidentité. Et en même temps je m'étonne de m'en étonner. Un jour peut-être nous ne nous interrogerons plus sur le sexe ou le genre ou l'identité des gens, mais nous nous intéresserons d'abord à qui ils sont, ce qu'ils pensent et ce qu'ils font. La transidentité sera "juste" une partie de l'histoire individuelle. Et là peut être nous seront semblables.

L'article raconte sa carrière, son enfance, son parcours (plus que son histoire), ses convictions ... et ne fait pas "sensation" d'où elle vient. On nous parle d'elle comme une personne, qu'elle qu'elle soit sans le vocabulaire des dominants utilisé pour le portait des hommes : "il va falloir qu'on lui confie un jour les commandes" ou encore "il a l'étoffe d'un président", ni le registre utilisé pour les portatifs de femmes avec des détails sur sa vie personnelle "son chat d'enfance s'appelait Kitty" et "elle est bien entourée, son mari fait la cuisine". Cet article n'est certainement pas parfait, mais il montre que c'est possible de faire le portait d'une personne en parlant de cette personne, en évitant les pièges du genre. Le magazine Forbes n'y était pas arrivé l'année dernière à l'annonce de sa nomination, dans son titre il avait coché toutes les cases.

Mais c'est possible, et ça fait bien de le lire.

Merci mesdames les journalistes.

samedi 1 mai 2021

Nos destins féminins en agentes secrètes

 

Dans la moisson d'avril, une petite, renouvellement du genre (roman d'espionnage), qui en change aussi les codes et ça fait du bien! Glané chez mon libraire, un peu au hasard,  "nos secrets trop bien gardés" de Lara Prescott ne doit pas resté un secret (trop facile!). 
C'est un roman inspiré de l'Histoire (que je lis rarement) mais qui raconte des histoires (que j'adore) de femmes (forcement) et de littérature (ca en fait une recette magique), et cerise sur le gâteau des agents secrets femmes : des agentes secrètes (les dictionnaires ne sont pas tous d'accord avec cette féminisation de la fonction). 

Des histoires de femmes qui se croisent (les histoires plus que les femmes) sur fond de guerre froide, et de la parution du grand roman de Boris Pasternak "le docteur Jivaho". Je dis grand roman parce qu'il a eu le Prix Nobel de Littérature, je n'ai vu que le film il y a de cela des années, je n'en ai gardé aucun souvenir. Et après avoir lu "nos secrets trop bien gardés" j'ai une telle image de Pasternak, que j'en viens à le détester. 

L'histoire sous jacente est celle de la CIA qui a tenté d'introduire le roman de Pasternak en URSS alors qu'il n'y avait pas été édité et était interdit. Sa première édition est d'ailleurs traduit de l'italien, le manuscrit avait été sorti clandestinement. La CIA avait une branche "littérature et soviétisme"qui pensait que les mots avaient un pouvoir et pouvaient changer le monde. Cela en ferait presque une entreprise philanthropique, dit comme ça. 

On y croise des anciennes espionnes (qui ont perdu leur job après la guerre, pas comme les hommes qui en ont été récompensés par des postes haut placés) et sont devenues dactylo, en attendant ; la maitresse de Boris Pastrenak (qui ne quitta jamais sa femme et qui a dormi tous les soirs chez lui après avoir diné et fait l'amour avec sa maîtresse) qui a passé des années au goulag à cause (et pour) lui ; des femmes qui s'aiment et qui perdent leur job à cause de leur homosexualité ; des vrais agentes secrètes, qui ne courent pas de toit en tois ou sautent des trains en marche, mais qui récupèrent des vrais secrets et deviennent des agents doubles. Elles sont plusieurs héroïnes, personnages plutôt, attachantes, et avec des préoccupations universelles de liberté, de responsabilité, d'épanouissement et toutes cherchent leur voie. 

L'autrice a une sacré plume, et un fil narratif articulé avec les chapitres, où chaque personnage, chaque lieu a son propre style, ton et interpellation. Je suis de tout coeur avec les dactylos qui parlent un "nous" pluriel, je suis fascinée par Irina qui n'aime pas Tedd alors qu'il est adorable, et je voudrais d'être Sally l'agente double, j'ai envie de secouer Lara qui se meure d'amour pour son vieil écrivain... Je me reconnais dans chacune et dans toutes. 

Ce livre tisse les liens de nos destins féminins.
Et ça résonne fort dans l'invisibilité faite aux femmes, dans l'Histoire, dans la création, dans la liberté qui est laissée, et de ce qui se passe quand elles ne s'y cantonnent pas. Encore aujourd'hui.

Nous tapions cent mots à la minute et ne rations jamais une syllabe. Nos bureaux, tous identiques, étaient équipés d'une machine à écrire Royal Quiet Deluxe  à  la coque vert menthe, d'un téléphone noir  à cadran de la marque Western Electric et nous disposions toutes de blocs sténo jaunes. Nos  doigts voletaient au-dessus du clavier. Le cliquetis des touches ne cessaient jamais. Nous ne nous arrêtions que pour répondre au  téléphone ou tirer une taffe sur notre cigarette ; certaines parvenaient même à faire les deux sans perdre le rythme.
Les hommes arrivaient vers dix  heures.

Lara Prescott - Nos secrets trop bien gardés