dimanche 24 octobre 2021

Désorientée

Quand James Blunt est un symptôme


J'ai été désorientée.
Je viens juste d'en sortir.
J'ai mis quelques temps à m'en rendre compte. Puis j'ai laissé faire. 
Ca fait moins de 10 jours que je suis lucide sur le sujet.

Deux semaines avant de me faire opérer (puis finalement non) à coeur ouvert, j'ai commencé la série "Grey's anatomy". 
Quelle personne saine d'esprit regarde une série qui a plus de 15 ans, qui montre des corps ouverts, des by pass cardio, des situations critiques, des gens qui meurent sur la table d'opération, et d'autres qui ne se réveillent pas de l'anesthésie,  une dizaine de jours avant de passer au bloc?
Mais ça évidemment je ne l'ai pas vu toute de suite. Je me suis dit que peut-être quelque chose clochait quand je regardais les épisodes dans ma chambre d'hôpital et que je craignais que le personnel ne me fasse une remarque. Là, je me suis dit que, peut être ce n'était pas la meilleure série à regarder en ce moment.

J'ai voulu écrire mes directives anticipées avant d'y aller. A part rester plantée devant mon écran, je n'ai pas écrit un mot sur le sujet. Je ferai ce truc, un jour, je pense que c'est important. Ce qui est important surtout est de le faire à un moment où tout va bien, et où on est lucide avec les idées claires.

J'ai écouté James Blunt en continu. Que James Blunt. Et c'est là où je me suis dit que j'étais désorientée. 
Alors que j'étais rentrée de l'hôpital que je n'avais pas été opérée, que tout irait bien puisque le catharisme interventionnel venait à ma rescousse, que les hippocampes feraient leur charge et je ne serai pas obligée de mettre des cols roulés le restant de mes jours pour cacher ma cicatrice au thorax.
Mais j'ai continué à écouter James Blunt et à regarder Grey's Anatomy. 

Je suis aussi allée courir un lundi matin avec James Blunt dans les oreilles, au lieu d'aller au bureau.
Je suis allée voir Dune (le film) à alors que j'étais en arrêt maladie et rien ne m'y obligeait.
J'ai dormi plus de 10 heures par nuit, je n'ai vu personne de la semaine, j'ai fait des copier-coller de SMS pour dire que j'allais bien, que c'était chouette. Je regardais les gens qui meurent dans Grey's anatomy.

J'ai lu des dizaines de messages d'amis et de connaissances qui me disaient que peut-être reprendre le travail dès le lundi suivant la sortie d'hôpital c'était rapide.
Je me suis effondrée en pleurs chez le cardiologue lors de la visite de routine.
Et là au Nième message d'une copine qui m'a dit explicitement : prends une semaine de plus. J'ai compris.
J'ai remis la play list de James Blunt et j'ai attaqué la saison 4 de Grey's anatomy.
J'étais désorientée. 
J'ai eu tellement peur de cette opération qui n'a pas eu lieu. Il m'a fallu du temps pour évacuer la peur.
Et me vivre comme une ressuscitée, qui ne peut pas reprendre la même vie. Pas exactement la même vie. 
Donner un coup de pousse aux changements qui se dessinent, acter ce qui est déja engagé et ne pas regarder derrière.

Et un jour en allant courir, James Blunt était de trop. 


vendredi 15 octobre 2021

C'est pour longtemps et plus encore

Aux rencontres d'Arles 2021

Des années après, la même sensation.

C’est comme un accouchement. Ce n’est pas le moment le plus agréable, mais tout ce qu’on a fait avant était pour en arriver là. Et à ce qui suivra après.

L’accouchement est la première étape de séparation. Tout ce qui suit sert à se séparer, dans de bonnes conditions : qu’ils soient autonomes affectivement, socialement, intellectuellement … et un jour financièrement. 

Bref qu’ils vivent leur vie. La leur, pas celle qu’on a pensée pour eux, ni celle qu’on aurait envie de vivre à travers eux. 

Quitter la maison est la deuxième étape. Très symbolique, très visible et vivace.

Je ne sais rien des étapes suivantes, ni s’il y en d’autres, je sais que celle-là me marque autant que la première.

J’ai su, j’avais senti à la naissance, quand je l’ai tenue dans mes bras, que désormais je serai vulnérable.

Avant, je me sentais invincible. Un enfant m’a ramené à plus de mesure.

C’est par là, c’est par mes enfants que je suis devenu vulnérable, sensible, atteignable, voire corruptible.

Ce dont je me doutais déjà à l’époque que ce serait pour longtemps, ce que j’ai compris l’autre jour en a laissant dans son studio d’étudiante, c’est que ce serait pour toujours.