dimanche 10 mai 2020

De quoi la "solidarité" est elle le nom?

Hans Hartung : "et en peinture il faut que tout soit juste : les lignes, les courbes, les formes, les angles , les couleurs pour former une image qui puisse durer, qui soit l'expression définitive d'un phénomène, d'une émotion"

Avec incertitude et résilience, c'est le troisième mot le plus en cours en ce moment.

On est tous prêts à aider, à donner un coup de main.  C'est du moins de ce qu'on (se) dit et c'est aussi ce  qu'on constate quand on voit l'engouement qu'a eu la "réserve civique", dès la première semaine de sa parution. Les demandes d'aide ont rapidement toutes trouvé les aidants adéquats.
J'ai moi-même fait des choses que je n'avais jamais faites auparavant.
Par exemple, je suis allée distribuer les commandes à la Ruche. Deux fois de suite, pendant 4 heures, dans une in-organisation (ie le contraire de l'organisation) qui a mis à mal tout mon sens pratique, m'a rongé pendant 4 heures et a testé aux limites ma capacité à rester polie et à ne pas toute reprendre en main. Dix ans que je suis à la Ruche, abonnée de la première heure, je n'étais jamais allée aider.  Il a fallu que la distribution soit sur la sellette par la mairie, pour que je contribue.
J'ai même hésité à aller donner mon sang, mais mon iMari m'a retenue, me rappelant cet épisode mémorable quand à 20 ans je me suis évanouie avant l'entrée de la salle "dons du sang", où je m'étais fièrement inscrite. Je pense qu'entre temps je ne m'évanouis plus, mais il n'a pas voulu prendre le risque: "en ce moment, ils ont suffisamment à faire". C'est juste.
J'ai aussi cherché le numéro de l'Ephad à coté de chez moi pour aller aider, et un collègue qui connait bien le milieu m'a avertie : "aucune chance qu'ils te laissent entrer en période d'épidémie, même pour faire la vaisselle".
Solidaire, j'avais l'impression d'être solidaire. 
Je crois qu'en fait j'avais envie d'être utile, d'agir. J'avais surtout besoin d'exister dans cette crise, de jouer un rôle. Je ne sauverai pas des vies, mais je contribuerai. Sous cet angle, c'est d'abord un acte égoïste. Pas encore du sauvetage, mais ça s'en approche. Ne pas confondre solidarité et besoin d'exister ou de reconnaissance.

Solidaire c'est aussi ce qui nous lie, avec quoi nous sommes en interdépendance.
L'Etat est solidaire en ce moment : il soutient les entreprises, l'Activité (avec un A Majuscule s'il vous plait), les plus "fragiles" (noter aussi que souvent quand on est considéré comme "fragile" on est moins considéré comme responsable pouvant faire seuls ses propres choix)...
Souvent, on accepte d'être solidaire si les autres le sont. On conditionne notre décision à celle de l'autre. L'Etat l'est. Comment le sommes nous en retour?

Le sommes-nous quand on accepte les aides publiques dont on n'est pas certain d'avoir besoin? Utiliser les aides de l'activité partielle (chômage) par "prudence face à l'avenir" est-ce une décision solidaire?
On peut se raconter que nous ne savons pas de quoi demain sera fait, et que l'écosystème a besoin de ce qu'on produit, qu'on est utile à l'Activité et donc que nous nous devons d'être encore là demain "par solidarité". Et que pour s'en assurer on utilise d'abord les aides de l'Etat et ensuite notre "matelas".  Notre matelas est certes dans nos réserves financières, il est aussi dans nos salaires, les plus hauts, ceux qui pourraient accepter par solidarité de les baisser sans que leur train de vie n'en soit impacté et qui permettrait certainement de tenir plus longtemps ou d'être rentable sur la période. Qantas a fait ça dès janvier par exemple, on a peu entendu d'exemples en France en ce sens.

Est-ce solidaire de la part des Mutuelles (je rappelle : les Mutuelles sont l'Economie Sociale et Solidaire de ce pays) quand elles utilisent elles aussi le chômage partiel? Pendant la crise, leurs dépenses ont drastiquement chuté alors les cotisations ont été perçues de la même manière. Parions qu'elles feront un (excellent) résultat cette année. Et ces organismes sont structurellement conçus pour résister aux "accidents" avec des réserves financières pour ce type de catastrophe. Et pourtant certaines profitent du chômage partiel. Pour être solidaire de qui?

Ma femme de ménage ne vient pas pendant le confinement. L'Etat (encore) a prévu de prendre ses heures non travaillées en charge. Pour elle, c'est essentiel d'être payée sinon elle n'a pas de revenu. J'utilise ce que propose l'Etat ou pas? Je suis solidaire avec ma femme de ménage ou je profite de la solidarité de l'Etat ?

La RATP, dans son Grand Rôle de Service Publique nous rembourse une partie de notre coupon de transport pendant la période. Elle nous rembourse un service qu'elle a tenu et dont nous n'avons pas (tous) profité. C'est très différent du contexte de la grève, période pendant laquelle nous avions besoin de ses services et qu'elle ne les assurait pas. On pourrait se dire "c'est proposé, j'y ai droit, je le prends". Logique infaillible de pourquoi pas moi?
On peut aussi se demander si on en a besoin. Est ce que la crise m'a mis à mal et que ce remboursement m'aide à surmonter?

Je sais qu'en prenant les aides de l'Etat, je ne vole personne. Je sais que si l'Etat est solidaire maintenant, avec moi et avec tous, nous devrons tous être solidaires demain en payant nos impôts pour combler tout ceci, tout "ce déficit abyssal". Et pourtant je ne me dis pas : je prends les aides de l'Etat maintenant par mesure de prudence pour faire face à ce que je devrais payer demain.
Il me semble qu'aujourd'hui être solidaire est prendre juste ce dont on a besoin aujourd'hui, dans l'ici et maintenant,  et non pas pour couvrir l'incertitude - qui est la même pour tous y compris pour l'Etat -  ni pour nous assurer une quelconque résilience.

Etre solidaire c'est n'utiliser que ce dont on a besoin : je ne demanderais pas le remboursement du coupon RATP, ni des places de mon abonnement au Théâtre de la Ville, ni de la licence sportive, ni des activités culturelles interrompues, je paierai ma femme de ménage.... Par solidarité. 
Parce que je n'en ai pas besoin aujourd'hui et que j'aimerai qu'ils soient tous encore la demain quand j'en aurai besoin.




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