mercredi 5 mai 2021

D'autres s'y mettent et ça fait du bien

 

Sue Y. Nabi, CEO de Coty

Je compte, je l'ai dit. Et j'écoute et je lis d'autres qui comptent aussi, ce qui me fait me sentir moins dingue dans ma "frénésie du comptage" (je cite un ami). 

Et ces dernières semaines, d'autres plus exposés, plus lus, plus médiatiques, plus "main stream" s'y sont mis aussi. Chacun à sa manière. Je parle de M le magazine du Monde et du supplément Week-End des Echos. Pas des journaux qu'on peut soupçonner de féminisme intégriste. Du féminisme washing peut-être, alors considérons que c'est le prix à payer pour toucher avec un message tout simple la majorité des hommes blancs, qu'on imagine être le lectorat de ces deux journaux. Et que si un ré-équilibrage se fait c'est bon à prendre, peu importe si c'est aussi pour être dans l'air du temps.

Qu'ont-ils fait? Ils regardent la place qu'ils laissent aux femmes, ou autres, autres étant différents des hommes (je lis en ce moment  le 2ème sexe de Simone de Beauvoir, l'Autre sexe dans son texte est la femme, aujourd'hui on peut dire qu'Autre est ce qui n'est pas homme).

M le magazine du Monde a fêté ses 500 couvertures il y a quelques semaines. Ça a été l'occasion pour eux de compter (ah vraiment j'adore ce mot) et le compte n'y est pas. Ils l'ont dit : sur leur site, sur leur compte Instagram, ils en ont fait l'analyse dans des articles gentiment auto-justifiants, mais au moins ils se regardent faire, et dans la durée.

500 couvertures : 288 avec des hommes, 196 avec des femmes (et 16 avec des chaises, des tomates, des éponges...). 

58% des unes avec des bobines de gars, et moins de 40% avec des femmes. 

La directrice éditoriale (et oui!) se fend d'un article sur le sujet, s'en excuse et signifie qu'ils vont y porter attention. Ce bilan des portraits sur leur couverture a donné lieu à d'autres articles qui s'interrogent si les 54 mannequins (parmi ls 196 femmes) sont des vraies femmes (peut-on vraiment se poser ces questions?) ; qui s'évertuent à bien expliciter la diversité des femmes en Une :  des vielles, des jeunes, des noires et d'autres encore. C'est presque un modèle du genre cet article, un peu comme à l'Ecole des Fans (qui se rappelle encore de cette émission?). Un article qui veut surtout avoir l'air bien sur tout rapport.

Reconnaissons tout de même que depuis que la directrice éditoriale est une femme  - Marie-Pierre Lannelongue - un effort est fait sur les thèmes, et sur lui fait la Une. En 2020, la moitié des couvertures étaient tenues par des femmes. Il est vrai que depuis #metoo il devient difficile de faire autrement quand on se veut un journal qui traite "des sujets de société de son temps" (sic) : impossible avec une telle ligne éditoriale de faire l'impasse sur  la représentation des femmes dans les médias.  

M le magazine le Monde, dans la case des bons élèves.

L'autre surprise un peu différente nous vient de Les Echos week-end, le numéro du 25 février dernier. 

Sur 4 pages le portrait de la patronne de Coty (Groupe américain de produits de beauté, concurrent de L'Oréal). Son nom Sue Y. Nabi. Une photo d'elle pleine page, cette femme rayonne de simplicité et d'intelligence. Il faut attendre la deuxième colonne de l'article pour comprendre ce que veut dire "son  histoire plurielle". Et de poursuivre ma lecture, d'être perdue, pas sûre de suivre l'article. J'ai relu plusieurs fois les paragraphes pour voir ce que j'avais loupé. Rien, je n'avais rien loupé, et c'était dit sans être écrit. Ce que je ne vais pas savoir faire : le Y dans son nom est pour Youssef. Cette femme est une femme transgenre d'origine musulmane à la tête d'un groupe international de cosmétique.

J'adore. 

Et je salue la journaliste - Corine Scemama - qui a rédigé cet article sans mettre dans le titre ce qui était singulier et pas banal. La prouesse est que le mot transgenre ne figure à aucun moment dans l'article. 

Ce que je trouve remarquable n'est pas qu'elle soit transgenre (quoique, je serai curieuse de savoir comment elle mène tout de front : une  carrière, une transformation, une identité, une vie ...) c'est que finalement elle n'est pas réduite (essentialisée comme on dit aujourd'hui) à sa transidentité. Et en même temps je m'étonne de m'en étonner. Un jour peut-être nous ne nous interrogerons plus sur le sexe ou le genre ou l'identité des gens, mais nous nous intéresserons d'abord à qui ils sont, ce qu'ils pensent et ce qu'ils font. La transidentité sera "juste" une partie de l'histoire individuelle. Et là peut être nous seront semblables.

L'article raconte sa carrière, son enfance, son parcours (plus que son histoire), ses convictions ... et ne fait pas "sensation" d'où elle vient. On nous parle d'elle comme une personne, qu'elle qu'elle soit sans le vocabulaire des dominants utilisé pour le portait des hommes : "il va falloir qu'on lui confie un jour les commandes" ou encore "il a l'étoffe d'un président", ni le registre utilisé pour les portatifs de femmes avec des détails sur sa vie personnelle "son chat d'enfance s'appelait Kitty" et "elle est bien entourée, son mari fait la cuisine". Cet article n'est certainement pas parfait, mais il montre que c'est possible de faire le portait d'une personne en parlant de cette personne, en évitant les pièges du genre. Le magazine Forbes n'y était pas arrivé l'année dernière à l'annonce de sa nomination, dans son titre il avait coché toutes les cases.

Mais c'est possible, et ça fait bien de le lire.

Merci mesdames les journalistes.

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