dimanche 1 mai 2016

Comment devenir agent secret?

Beaubourg, de dos  - avril 2016

« Pour communiquer la langue, c’est parfait, on ne peut pas faire mieux. Et cependant la langue ne dit pas tout. Le corps parle, les objets parlent, l’Histoire parle, les destins ndividuels ou collectifs parlent, la vie et la mort nous parlent sans arrêt de mille façons différentes.


L’homme est une machine à interpreter et, pour peu qu’il ait un peu d’imagination, il voit des signes partout : dans la couleur du manteau de sa femme, dans la rayure sur la portière de sa voiture, dans les habitudes alimentaires de ses voisins de palier, dans les chiffres mensuels du chômage en France, dans le goût de la banane du beaujolais nouveau (c’est toujours soit banane soit, plus rarement framboise.Poruquoi ? Personne ne le sait, mais il y a forcement une explciation et elle est sémiologique), dans la demarche fière et cambrée de la femme noire qui aprente les couloirs du métro devant lui, dans l’habitude qu’à son collègue de bureau de ne pas boutonner es deux derniers boutons de sa chemise, dans le rituel de ce footballeur pour célébrer un but, dans la façon de crier de sa partenaire pour signaler un orgasme, dans le design de ces meubles scandinaves…"
La 7ème fonction du langage - de Laurent Binet

Je lis peu de romans français, encore moins de prix littéraires, quoi que un peu plus ces derniers temps (je vous ai parlé de Delphine de Vigan il y a quelques temps). Je me suis fait offrir à Noël ce livre. La critique m'avait plu, un client me l'avait recommandé (mais peut-on vraiment se fier à quelqu'un qui lit Marc Dugain et Jo Nesbo?). Le livre est bavard, j'ai lu des chapitres entiers en diagonale. Mais le début est passionnant et la fin pas décevante, même si elle ne surprend pas vraiment.
On y parle de Jacques Chirac quand il était président et de François Mitterand lors de sa campagne avant 81 (la force tranquille). J'avais 10 ans, je m'en rappelle très bien. Je me rappelle de ce dimanche soir de mai, de notre téléviseur en noir et blanc, avec la mire sur laquelle s'affichait tel un revers de  petits carrés le visage du futur Président de la République : François Mitterand. Je me souviens de ma mère qui exultait et mon père qui pleurait ("la France est perdue"). Je me souviens qu'il a aboli la peine de mort  -  ce qui m'a soulagé à l'époque, angoissée par l'idée de me faire décapiter à la suite d'une possible erreur judiciaire. Je me souviens des radios FM (Scoop radio dans la banlieue lyonnaise) et de la pub qu'on essayait de couper quand on enregistrait sur nos cassettes les musiques du hit parade.
Je me souviens de tout ça, mais rien de ce que raconte le livre : ni de Roland Bartes (qu'il y a encore peu de temps je prononçais Bartès), ni qu'il y avait une fac de socio à Vincennes, ni des luttes d'idées de Bourdieu, et des autres, ni que Sollers trainait dans ce milieu avec sa compagne (Kristeva - je savais pas qu'elle était sa compagne). Pour moi Sollers était un vieux, à peine beau, qui écrit des livres insipides dont mêmes les scènes porno sont sans style.
On y parle de tout cela et lire à 45 ans sur le monde de nos 10 ans, c'est toujours éclairant.

Et surtout, je sais que si j'ai une autre vie je serais sémiologue.
Sémiologue : c'est l'agent secret sans les dangers de l'infiltration, sans l'angoisse du double espion, sans le vertige quand tu te retrouves à courir sur le toit d'un train à grand vitesse... C'est l'agent secret sur canapé, ou "de salon" : l'agent secret mondain.
Je verrais, comme aujourd'hui des signes partout, mais j'en ferais autre chose qu'imaginer la vie des gens. Je deviendrais un héros par déduction et décryptage d'informations que moi seule saurait comprendre (inventer?).
Bref, je saurai une affabulatrice officielle.


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