mercredi 13 mars 2019

Le compte n'y est pas

Nous ne sommes pas dans "les chiffres et les lettres"
Je développe ces temps-ci une sensibilité extrême à la parité de représentation hommes-femmes. Partout, tout le temps : vie publique, vie professionnelle, vie des affaires, mes interlocuteurs, les codir que j'anime, les livres mis en avant à la librairie, les noms cités quand on parle d'un sujet...
Je compte malgré moi.
Et le compte n'est pas bon.
On n'y est pas.

Sur France Inter, l'autre jour, l'instant M, la journaliste interviewe Yann Moix (beurk... ici gros dégout prononcé). 
Déjà : pourquoi donner à ce type encore plus l'occasion de s'exprimer en public? 
Il a fait le buzz il y a quelques semaines avec des propos sur ces "goûts" en matière de femme comme s'il choisissait entre plusieurs parfums de glace (et encore j'ai plus de respect pour les sorbets et crèmes glacées que lui n'en a pour les femmes - vues comme un tout, et consommables).
Ensuite, cette journaliste - sociale traitre à la cause de son genre (!) - s'abaisse à essayer de rentrer dans son jeu : de la provocation' sur sa provoc'... 
Pauvre Sonia, c'est son fond de commerce à Yann c'est la provoc, elle s'est faite "balader", au point de jouer la surenchère avec lui et de vouloir parler plus que lui. Comble pour un journaliste avec un invité.
Et là, le Yann dans toute sa splendeur qui citent les gens qui ont des choses à dire, qui se sont créé un personnage, qui... je ne sais plus quoi : Gerard Depardieu, Fabrice Luchini,  Benoit Poelvorde,  Gad Elmaleh, Philippe Sollers, Jean D'Ormesson, Charles Peguy, Emmanuel Levinas, Michel Houellebecq, André Malraux, André Gide, Jean Cocteau, Romain Gary, Julien Gracq, Patrick Modiano, Michel Onfray (Michel Onfray!) ... et je ne parle pas des références de la télé. Thierry Ardinsson et Michel Pollack (on est remonté loin, au temps des dinosaures). Il a écarté Elena Ferrante proposée par la journaliste, en arguant du fait  n'est pas une vraie écrivain, et l'a remplacé par Amélie Nothomb, pour peut-être, inconsciemment, cité toute de même une femme.
N'a-t-on que ça (ces noms d'hommes uniquement) comme exemple sous la main? 

Je lis Les Echos du début à la fin les jours où je prends l'avion. Le 8 mars, journée de la Femme, ou des Femmes, ou des droits des Femmes (bref c'est selon) j'ai fait un décompte simple en lisant Les Echos, un décompte bien plus simple que le nouvel index d'égalité salariale dans les entreprises en vigueur depuis le 1er mars (et plutôt bien cet index) : 
  • 53 photos sont publiées sur l'ensemble des pages, cahier spécial compris, hors publicité
  • 24 photos sont des photos d'hommes, et leur nom est cité pour 15 d'entre eux
  • 5 photos de femmes, dont 2 seulement avec leur nom, forcement c'est dans le "carnet" et le "portrait". Toutes les autres, sont des photos pour illustrer le sujet : une petite fille pour illustrer l'inégalité des chances à 'école, des femmes pour illustrer... encore une fois "illustrer"  
  • il y a plus de photos "autres" (24 photos) : de machines, d'usines, de bâtiements que de femmes.
Je ne crois pas du tout qu'il n'y ait pas de femmes à mettre en avant sur tous les sujets traités dans Les Echos, surtout un 8 mars, quand on fait une pleine page Inégalités hommes-femmes sans une photo. Alors que nos belles entreprises du CAC 40 ont publié leur indice d'égalité : nombreuses sont celles au dessus de 75. Qui l'eut cru?
Messieurs les chefs du CAC40 : il y a des femmes dans vos Comex, vous avez des femmes à des postes de responsabilité, faites-les parler dans les journaux, ou du moins montrer nous leur tête dans les journaux,  nous changera de ces hommes en costumes sombres, chemises unies et cravates assorties.

Et si, Monsieur Le Directeur de la Rédaction du Journal des Echos, vous manquez de références féminines, pour votre information vous pouvez commencer à chercher ici : https://expertes.fr

samedi 9 février 2019

On n'échappe pas aux clichés

Irene Jacob - Retour à Reims au Théâtre de la Ville

Notre abonnement au Théâtre de la Ville nous a amené voir la pièce "Retour à Reims", qui s'est trouvé faire le buzz. En juin, au moment du choix je savais à peine ce que j'allais voir, je suivais les conseils d'un collègue.
Retour à Reims de Didier Eribon, un ouvrage sociologique, qui ne se lit pas comme un roman, loin de là. Je n'ai pas lu Eribon, j'ai compris tout son propos en allant voir la pièce, en gros c'est ce que j'ai retenu de Bourdieu (les classes sociales) croisé avec Foucault (l'homosexualité).

La mise en scène est habile, en double jeu : on assiste à la lecture et mise en images du livre... 
Ça nous épargne les déambulations sans fin de Eribon dans les rues du lotissement de ses parents, ou ses allers-retours en train entre Paris et Reims. Des images du film (oui il y aussi eu un film) sont d'ailleurs projetées en illustration du texte lu par Irène Jacob.

Irène Jacob. Vous vous souvenez ? Rouge, la Double Vie de Véronique. 
C'est la même. La même présence, la même voix chaude et enveloppante. La même avec quelques années de plus. Comme nous. Non, pas exactement comme nous, mieux que nous.
Le texte est remarquablement mis en valeur, une voix de femme sur une autobiographie masculine donne une autre dimension, on oublie aussitôt que c'est une femme qui porte l'histoire d'un homme.
Toute la première partie est captivante, jusqu'à ce que le metteur en scène - le fameux Thomas Ostermeier - se dise qu'il faut qu'il se sorte des clichés.
L'actrice est une femme blanche, une intellectuelle, le metteur en scène est un intello gaucho blanc et le gars qui leur loue le studio d'enregistrement est un grand black. 
Le metteur en scène a voulu montré que l'homme blanc n'est pas un donneur de leçon à la femme, c'est la femme qui a raison quand il s'agit de sublimer le texte. Il lui dit même "ah je te fais du mansplaining" et explique ce qu'est le mansplaining! C'est fou.

Il a voulu montrer que même quand on est black et qu'on habite en banlieue (la femme se plaint de devoir faire une heure de bus pour y arriver depuis Paris) on sait faire des choses : on a droit à deux chansons Rap (peut-on parler de chanson quand c'est du rap?), il est "chef d'entreprise , le studio lui appartient il nous le rabâche. Et surtout il est intégré, la preuve : son grand père était un tireur sénégalais.
La pièce s'égare un peu sur l'histoire des tireurs sénégalais, ces "vrais français de couleur", sur le rap, sur le faux interêt que montrent les deux intellos français à leur pote black.
Et au milieu de tout cela des images des gilets jaunes. Le metteur en scène cherche à rentrer dans l'histoire du théâtre en étant le premier à porter à 'écran les Gilets Jaunes?

A trop vouloir combattre les stéréotypes que l'on porte en soi, on se noie dans les clichés.
Moi c'est le moment où je me suis perdue, j'ai piqué un petit somme.

samedi 2 février 2019

L'air con




Je suis perdu dans tes yeux
Tes yeux qui battent des ailes
Qui font de l'ombre au bon Dieu
Et des clins d'œil au soleil
Je vole à côté de toi
J'ai presque plus peur du vide
Car ça brûle au fond de moi
D'un feu de joie dans le bide
Je bouillonne à petit feu
Comme pour une insolation
Je rougis

Je suis tellement amoureux
Que j'en ai l'air un peu con
Mais tant pis

Je suis perdu dans ta bouche
Comme une bouteille à la mer
Comme un clodo sous la douche
Comme un soleil en hiver
Je nagerai dans tes eaux 
Jusqu'au comptoir de mes rêves
C'est ma langue sur ta peau
À l'abreuvoir de ta sève
Je me regarde la queue 
Comme ça avec les yeux ronds
L'air ravi

Je suis tellement amoureux
Que j'en ai l'air un peu con
Mais tant pis

Je suis perdu dans ton cœur
Mais alors là j'y vois rouge
Au tourbillon de ma peur
Du jour où faudra que j' bouge
Il parait que plus on aime
Plus ça peut nous faire du mal
J' vois là un sacré dilemme
Mais tu me dis qu' c'est normal
Qu'il faut profiter au mieux
De la vie tant que c'est bon
Et moi j' me dis

Je suis tellement amoureux
Que j'en deviens un peu con
Et tant mieux

L'air con - Imbert-Imbert


Découverte d'hier soir. Le théâtre en bas de chez nous, nous reserve régulièrement des surprises, on en repart avec des pépites.
C'était le cas hier soir, avec Cinq. Cinq chanteurs, auteurs-compositeurs, chanson française, dont Imbert Imbert.

Imbert-Imbert a un look improbable, de punk de 40 ans, ce qu'il reste d'une crête quand la calvitie ne fait plus que guetter mais s'est installée. Il a une voix incroyable, des textes poétiques et crus par endroits, à faire rire les enfants, et rougir les mamans.
Et surtout Imbert-Imbert a une contrebasse.
Il fait corps avec.
Il est sa contrebasse.
J'aimerai être sa contrebasse par moment.

A écouter vivement, il est sur Spotify ici


dimanche 27 janvier 2019

L'art du dîner


"They come in,"  he said, "we take their coats. Everyone talks in a big hurry, as if we didn't have four long hours ahead of us. We self-medicate with alcohol. A lot of things are discussed, different issues. Everyone laughs a lot, but later no one can say what exactly what so witty. Compliments on the food. A couple of monologues. Then they start to yawn. They say "we should think about leaving, huh?" and we politely look away, like they 've just decided to take a crap on the dinner table. Everyone stands, one of us gets their coats, peppy goodbyes. We all say what a lovely evening, do it again soon, blah-blah-blah. And they leave and we talk about them and they hit the streets and they talk about us".

The dinner party and other stories - Joshua Ferris


Excellent recueil de nouvelles, un peu déjanté et drôle ! Drôle, que j'en ris toute seule, comme c'est suffisamment rare avec un livre, pour le signaler.

Pour en revenir au diner, on connait tous ça. Le dîner où tu va bien habillée, avec des fleurs (même les fleurs j'évite, je préfère les livres, les confitures ou un vrai bon truc que j'ai aimé), où on sait d'avance comment ça va se passer, où tu sais que tu vas un peu t'ennuyer, où il ya comme un air de déjà-vu, déjà-vécu, conventionnel où il faut aller. Où le mieux qu'il puisse arriver est une bonne surprise un moment de franche rigolage ou de franche engueulade. 
Ce qui arrive peu en vérité.
J'invite des gens parce que je sais qu'on va se marrer, qu'on a des choses à se dire, que l'échange n'est pas la comparaison de nos vies, mais qu'ils parlent de nos vies, de leurs hauts et de leurs bas, de ce qui nous anime, de ce qui nous touche, de ce qui est intime. 
Il m'arrive de refuser des invitations quand je sens le parisianisme poindre. Evidemment, ce n'est pas forcement bien accueilli et en général, ca fait vite du ménage!

J'en ai fini avec les dîners polis et mondains. La vie est trop courte pour s'imposer ça.




L'année nouvelle doit-elle obligatoirement être synonyme de renouvellement?

NYC - décembre 2019
Le rituel des voeux, comme beaucoup de rituels, me donne d'abord la migraine pour me ré-interroger chaque année sur son sens, et je finis par envoyer des voeux, de façon ciblée, contextualisée, là où ça me semble important et avec qui il me semble que c'est "juste". Pas de mail général, encore moins de SMS.
Et dans le rituel du bilan et des perspectives, j'arrive toujours à imaginer un truc qui m'amuse, ne serait ce que parce que je le pratique avec mes clients. L'exercice est vertueux.
Pourtant je peine à me l'appliquer cette année.
En relisant ce que j'ai mis l'année dernière, je me rends compte que j'ai lâché prise, et j'en constate en partie les effets : je bosse mieux tel que je le souhaite, j'arrive à avoir un rythme qui me convient mieux dans l'ensemble, avec des clients peut-être plus ciblés, que j'y mets moins d'efforts et que ça se passe bien parce que c'est plus juste.

Mais des questions demeurent, qui, si elles prennent une autre formulation, reflètent le même fond.
Est-ce que ce que j'apporte a de l'impact, dans le "bon" sens ? Est- ce que les gens en sortent plus conscients de qui ils sont, plus éclairés de ce qu'ils font et pourquoi ils le font, et plus impliqués dans leur action car porteuse de sens en soi?
Est-ce que j'opère au bon endroit? Est-ce que l'entreprise est le bon endroit? D'autres modalités auraient-elles plus d'impact?
Est ce que je me vois faire ce que je fais encore pendant 15 ans au moins?
Je n'ai pas la réponse et je doute que 2019 me le donne.

Je vois poindre les doutes de la cinquantaine approchant.
Je vois aussi qu'une forme d'équilibre est atteint, et que j'ai du mal à juste en profiter. 
Je suis confortable et que j'ai peur de m'engourdir dans mon confort.

Et pourquoi 2019 ne serait elle pas l'année du confort?
Et si je devais juste renouveler ma garde robe? ou ma bibliothèque? Et même ça. Pas utile. Much a do about nothing.
J'ai déjà renouvelé mon scooter et mon électroménager, après quinze années de bon et loyaux services. 
Ca suffit comme renouvellement.

En 2019, 
Rien de neuf
Je ne change rien.

mercredi 19 décembre 2018

Indian Creek



"Ils ne connaissaient rien à cet endroit. Ils ne savaient rien des skieurs qui faisaient demi tour une fois arrivés au col, ni des nuits à moins quarante où les étoiles sont si nettes qu'on a l'impression de pouvoir les attraper. Ils ne savaient pas qu'il y avait eu quatre pieds de neige durant des mois, que les traces de neige qu'ils voyaient dans les prairies étaient mes pistes hivernales, compactées qui résistaient au soleil. Ils verraient tout ça tel que c'était maintenant, sans savoir par quoi il avait fallu passer pour en arriver là. Cela me semblait injuste. J'avais l'impression d'avoir payé mon dû, et maintenant ces gens-là venaient profiter de ce que j'avais mérité à force d'efforts".

Indian Creek -  Pete Fromm

C'est la fin de l'hivernage, des 9 mois passés à garder des millions d'oeufs de saumon isolé par la neige de toute ville et toute vie sociale. C'est une autre histoire que celle de Sylvain Tesson dans sa cabane en Sibérie. C'est une autre écriture, moins méditative mais plus réaliste. L'homme est plus accessible, moins ténébreux, moins cynique, moins alcoolique (pas du tout en fait). 
Il parle de la vie, de la montagne, de la solitude et de la difficulté de revenir en société, il raconte son chien, ses ballades, la préoccupation d'occuper ses journées.
Il donne envie d'essayer, il est attachant.

Pete Fromm, bel homme - ce qui ne gâche rien -  a écrit d'autres livres, dont "lucy in the sky" lu cet été, dont j'ai déjà parlé. Et d'autres quand je regarde sa bio. Je cours chez mon libraire.
Hautement recommandable, sous votre sapin.

dimanche 9 décembre 2018

Ecœurement du matin

Egon Schiele - Fondation Louis Vuitton

Non, non je n'ai pas les nausées matinales de la parturiente.
C'est bien plus triste et affligeant.
Dans mon avion du matin, celui qui m'envole sur la Côte d'Azur, je me retrouve coincée entre le hublot et un couple aussi bruyant qu'envahissant. Lui grand, énorme, le verbe haut, elle la vieillesse bien conservée, très soignée, un rien vulgaire qui "ne supporte pas d'être assise au milieu, c'est maladif". Ils parlent fort, connaissent plusieurs personnes d'affilée montant dans l'avion, la bise par là, et "j'ai eu ta fille au téléphone hier soir, aussi charmante que sa mère"...  Toute la délicatesse et l'humilité des juifs du 16ème, les mêmes qu'on croise à la Fondation Louis Vuitton.
Le processus d'embarquement est sérieusement ralenti. Je comprends que ce sont des gens qui vont au même endroit, et qu'ils appartiennent au monde politique.
La Vieille dit à l'hôtesse qu'elle voudrait être à côté de "son bébé", ce qui fit glousser le Gros : le bébé est un sacré morceau. Je comprends que c'est le fils, il est presque aussi gand que le père, mais bien plus gros.
Ces yeux sont tellement enfoncés dans le gras de son visage, tellement boursouflé qu'on pourrait imaginer un choc anaphylactique, les grosses saucisses qui lui servent de doigts ont noyé ce qui lui sert d'alliance. 
Ces gens sont pénibles, j'ai oublié mes écouteurs, je me plonge dans la lecture exhaustive des Echos et systématique du Monde.
"C'est bien pour vous, vous allez avoir la rangée pour vous seule" me dit le Gros une fois que l'hôtesse leur a trouvé 3 places à côté.
"je ne sais pas si c'est bien pour moi, en tout cas ça l'est pour vous visiblement. Bon voyage" fut ma réponse, aimable, en levant à peine les yeux de mon journal.

Zut, ils sont juste derrière moi. Le Bébé entre son Pôpa et sa Môman, et j'ai droit à toute leur conversation durant la durée du vol. Ce sont des gens qui ont besoin de faire savoir qui ils sont, ils se disent leur nom entre eux, y compris leur nom de famille, et raconte leur vie.
C'est comme ça qu'ils m'ont fait savoir qu'ils étaient la descendance de Simone Veil. Le Gros était donc Pierre François Veil (le fils de Simone Veil), le Bébé : Lucas Veil marié à Nelly dont il a raconté l'agenda de son anniversaire qui occupe tout le mois - il se trouve que c'est Nelly Auteuil, la fille de Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart, et la Vieille est Barbara Rosnay.

Je suis très déçue.  Comment une femme que j'admire a pu engendrer une progéniture pareille?
Atterrée, j'aurai préféré tout ignorer de la suite de cette Dame,
Une chose est certaine, personne parmi eux ne reprendra son flambeau.
Ne pas oublier ses écouteurs peut nous éviter bien des déconvenues.