mardi 18 août 2020

ll était une rando - J#1

Sur le GR58 - tour du Queyras

Qu'est ce qui nous a pris?
On peut se raconter plein de choses : on en faisait beaucoup quand on était jeunes (mais on ne l'est plus!), on aime ça (vraiment?), on a été poussés par nos enfants (si! si!), pour le fun? la gloire (laquelle?), pour l'ambiance (après le camping je crains que le refuge ne soit le truc le plus ... hors norme)... bref tout un tas de (plus ou moins) bonnes raisons. 
Le fond de l'histoire est certainement plus à chercher dans notre besoin de bouger, d'espace, d'air, de points de vue, de hauteur et de détachement. 

Marcher sur plusieurs jours réduit les contingences : respirer, manger et dormir.
Simplification à l'extrême du rythme de vie.

Montée au Col de Malrif
L'arrivée à Aiguilles, point de départ, se fait sous la pluie, en début d'après midi. Un savant mélange de trajets en voiture, bus et navette nous permet de laisser notre voiture au village d'arrivée, situé suffisamment proche à vol d'oiseau, mais toute de même à 4 jours de marche par le GR58, et plus de 30 km par la route en remontant des vallées plus étroites les unes que les autres.

L'auberge est pleine de randonneurs, le repas est copieux pour ceux-là, que nous ne serons que le lendemain. Cela ne nous empêche pas de faire honneur au diner.
Lever 6h pour un petit déjeuner "en autonomie", ca veut dire que l'aubergiste n'est pas levée, on se débrouille pour trouver le thé, les yaourts, le pain et la confiture. Nous sommes quelques matinaux à nous déplacer en silence dans la nuit avec nos masques dans la cuisine encombrée.

A 7h, on marche. Bon pied, bon rythme, excités par l'aventure devant nous.
Lacs Malrif - le lac du Grand Laus 
Ca grimpe sec jusqu'aux lacs du Malrif, et ce n'est rien comparé au passage du col du même nom, à 2900 m nous dit le cairn en plein vent.


Montée rude, le chemin est flou entre rochers, ardoises émiettées et touffes d'herbe hésitante. Je me fais doubler par un homme-taureau sautillant criant à qui veut l'entendre qu'il est arrivé là en 2h45 (moi ca fait plus de 3h que je marche ...). 

A quelques mètres du col, je me retourne pour admirer une demoiselle-papillon avec des longues jambes, tout en légèreté dans la montée, le mouvement de ses bras pour se servir de ses bâtons de marche ressemble à un battement d'ailes, blanches dans le bleu du ciel. 
C'est d'une grâce inouïe pour moi qui suis au bout de ma vie, au bout de mon souffle, rouge, suante et probablement odorante.




Vallée de Cervières

Comme tous les cols, celui ci est étroit, venteux, froid et encombré. La demoiselle-papillon qui n'est pas si jeune vue de près, mais fraiche  - je le confirme - fait selfie sur selfie, comme beaucoup d'autres ici. 
Nous admirons la vue, grelottant dans nos vestes, cherchons le soleil, la faim au ventre qui gronde. 

Fonts de Cervières

La vallée de Cervières s'étale devant nous, nous descendons vers les fonts de Cervières (je confirme que ça s'écrit avec un "t"). Vieux village, une ferme en activité (du moins l'été) avec un troupeau de moutons et son patou, quelques maisons gentiment retapées (probablement en location), et l'auberge-refuge.













Pressés pas la météo, nous arrivons vers 13h, en plein rush du déjeuner de midi, où des gens arrivant par de l'autre bout de la vallée (le bout où il y a une  route forestière) pour un déjeuner en famille sur trois ou quatre générations.

Nous sommes installés dans une annexe, une maison indépendante dans la village. Un rez de chaussée, 2 douches et 2 toilettes communs, un cuisine commune et une grande salle avec un poêle. A l'étage 4 dortoirs, un balcon.

Grâce au Covid, pas de mélange dans les dortoirs: un seul groupe par dortoir, nous occupons à nous 5, un espace pour 7 personnes.

Grâce au Covid aussi, les matelas sont recouverts d'un épais plastique bleu, facile à désinfecter, désagréable au contact, bruyants à tout mouvement. 
Confort dortoirs en covid, le rêve absolu.

Notre chambrée sent rapidement les chaussettes "utilisées", avec nos 5 paires de chaussures de montagne et de chaussettes de 6h (de marinade).
Notre balcon d'où admirer l'orage
Pas encore retapées







Un des avantages de la randonnée est que tu disposes de ton après-midi, si tu t'es bien débrouillée dans ton étape : partir tôt, ne pas faire des pauses trop souvent, arriver avant l'orage.

Fonts de Cervières, avant l'orage
L'après-midi est consacrée à ne rien faire, 
au pire : lire, 
au mieux :  profiter du mauvais temps en étant à l'abri, 
entre les deux : dormir, ou encore manger un tarte à la framboise en visant le moment où les grandes tablées se sont vidées et l'abondante pluie.










Et du balcon, tu profites de l'orage : les éclairs qui cisaillent la montagne, le tonnerre qui fait trembler le plancher, le déluge qui chantonne aux oreilles, et les frissons que tu te fais en pensant que tu pourrais être dans la descente du col, au pied des éboulis, dans un torrent de boue, trempé et  frigorifié...

Il s'agit aussi de compatir quand tes voisins de dortoir arrivent trempés. Eux ne sont pas partis tôt, ou ont trainés en route, ou n'ont pas consulté la météo.
 Comme il y a un bon côté à tout, les voisins qui arrivent sous l'orage font que le tenancier allume le chauffage.







Et là c'est Byzance, dans l'odeur des chaussettes, sur le matelas en plastique, je jouis de l'orage à mon balcon, enveloppée d'une douce chaleur. Un après-midi de rêve, un après-midi de rando!
Toits d'ancelles


















Repas de refuge repas de randonneurs. 

Là aussi, Covid oblige, les tables sont organisées par groupe. Nous avons notre table de 5, là où, quand on était jeunes (et quand on décidait de mettre de l'argent dans le repas du soir),  nous formions de grandes tablées, assis à côté d'inconnus comme toi marcheurs, mais pas comme toi : grand marcheur, c'est à dire avec un pedigree de sommets ou de GR à leur actif qui te faisait systématiquement passée pour une novice.

Pas de risque avec le Covid, chacun sa table, chacun son plat, on ne dispute plus le rab' de soupe. 

Le riz est "de cantine" d'après nos iAdos, totalement  déconnectés, pas un brin de réseau dans ce fond (t) de vallée, ni la moindre trace de Wifi. 

Le vin est en pichet, tiré d'un cubi, entre piquette haute-alpine ou vinaigre italien comme nous sommes à la frontière, je ne sais trop. Nous avons faim, nous mangeons tout, en trouvant tout ceci quasiment bon.

La distanciation sociale s'arrête à la salle à manger, on se fait alpaguer à la sortie par nos voisins de dortoirs, ceux qui sont arrivés à 17h sous l'orage, et grâce à qui nous avons le chauffage. 

Comme je suis quelqu'un de poli (parfois) je remercie pour le chauffage (avec un minimum de compassion pour leur état trempé-frigorifié), s'ensuit une conversation très parisienne (ils sont versaillais) sur quelles étapes, quels horaires, quels autres GR, quelles autres randonnées et croyant trouver un échappatoire en évoquant le Canada, je me retrouve embarquée dans une conversation sur l'histoire de Banff et la rentabilisation de la ligne de chemin de fer au détriment des indigènes...  Mon iMari s'enfuit. 
Bonheur du refugeje fais la conversation avec des parfaits inconnus en tatannes-chaussettes (comme moi) avant d'aller au lit à 21h.

Nuit agitée de nos retournements sur plastique bleu, chaleur odorante du radiateur, bruit de la pluie sur le toit en ancelle, vomi du dernier pendant son sommeil, nuque endolorie par nos oreillers de pulls pliés et serviettes de toilette... jusqu'au réveil à 6h.



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